Guy PEGERE : Mort du Minéralurgiste des Lumières Gabriel JARS

Guy PEGERE : Mort du Minéralurgiste des Lumières Gabriel JARS

Mort d'un Emissaire du Roi Gabriel JARS Inspecteur Général des Mines en 1769

 

La Mission Funeste

à St-Arcons d’Allier (Haute-Loire)

du Jeune Emissaire du Roi

Inspecteur Général des Mines

Gabriel JARS

(1732 - 1769)

 

Membre de l’Académie Royale des Sciences

Membre des Arts de l’Académie Royale de Londres

 

 

Que son Esprit fécond survive

 au service de l’Humanité.

Au Siècle des Lumières peut on déjà parler

d’une Psychologie de l’Inventeur.

 

Pas au Panthéon

 

            Son nom n’est pas au Panthéon de la mémoire Nationale, les dictionnaires comprenant les noms propres des personnages des Arts et des Techniques, ne réfèrent pas forcément l’existence de Gabriel Jars. Nul doute en conséquence de sa courte vie, anéantissant à cet homme d’innovations métallurgiques, tout projet conséquent en son Siècle d’une France des Lumières, d’inventions en tous genres et d’idées nouvelles... Né à Lyon en 1732, Gabriel Jars sera victime d’une insolation à l'âge de 37 ans, au mois d’août de l’An de grâce 1769, à Saint-Arcons près de Langeac, département de la Haute-Loire.

 

            La disparition de Gabriel Jars, dans les Monts d’Auvergne d’un «coup de soleil» ne tient qu’à l’ironie du sort, pour ce haut serviteur du Royaume de France. Jusque là ses offices... l’avaient fait voyager aventureusement pour de longues et lointaines missions dans la profonde Europe, jusqu’en services spéciaux dans la Grande-Ile. Gabriel Jars était alors officiellement investi pour des affermissements métallurgiques d’une France, largement en retard, devancée par l’Angleterre et l’Allemagne.

 

            Les longues et lointaines villégiatures de Gabriel Jars, n’avaient rien de ses «voyages de l’ouverture sur l’étranger», aux nombres de ses contemporains voyageurs-naturalistes du XVIIIème siècle. Il était très impliqué dans la maison du Roi, figurant parmi les dignitaires personnages formant une collégialité d’Architectes, d’Ingénieurs, d’Inventeurs, d’Enquêteurs à l’étranger. Les missions de Gabriel Jars s’appliquaient à un domaine particulièrement primordial : les progrès industrielles et métallurgiques du Royaume. En témoignent ses carnets de voyages, dont un remarquable mémoire se rapportant à la Fonte de l’Antimoine d’Auvergne, publié peu après sa disparition, par son frère aîné.

 

            Avant que la destinée de Gabriel Jars ne s'achève singulièrement dans le Haut-Allier du Pays Langeadois, le «grand tour» devait le conduire en Hollande, pays expérimentant depuis près de deux siècles, sa révolution agricole. Dans cette nation de neutralité pendant la fameuse guerre de Sept-Ans, Gabriel Jars s’était notamment instruit, dans l’Art de parfaire la cuisson de briques et tuiles. En Prusse, on lui fit allégeance des secrets du calcul des alliages pour la fabrication des Monnaies. En Bohême, il s’intéressa à la fabrication par étamage du fer-Blanc, alors que la forte corporation des ferblantiers parisiens, ne parvenait qu’à produire des objets en fer poli de bien moindre qualité. Ce nouveau procédé, d’un étamage argenté des ustensiles d’usage domestique procurait aussi une avantageuse protection des fusils contre la rouille, et nombreux et variés articles de serrurerie, et de commerces des quincailleries. Pour l’une des plus prestigieuses enseignes du genre au XVIIIème siècle : la «Clincaillerie Angloise et Françoise» rue de Valois à Paris.

 

            Minéralurgiste breveté du Roi, Gabriel Jars sera souverainement reçu par les plus hauts dignitaires de Suède, nation dès lors à la première place dans l’exportation de produits semi-ouvrés, fonte et fer brut. Qu’elle fut la subtile compromission diplomatique, de cette suprême entrevue notamment avec le Roi de ce pays Nordique. En se replaçant dans l’histoire de l’Europe du XVIIIème siècle, il persistait un fragile équilibre de cette région de la Baltique, le Danemark, l’allié du puissant Royaume-Uni, vigilant à protéger ses routes impériales, afin d’en assurer ses dominances commerciales et maritimes. Ou bien, une forme de reconnaissance à Louis XV, dit le Bien Aimé (1710-1774) après avoir permis à Frédéric II, de prendre possession de la Silésie. La France, on ne peut pas mieux dire, avait travaillé «pour le Roi de Prusse» puisque Frédéric II, finissant par un retournement d’alliance avec l’Angleterre, prenait le parti de commencer la guerre.

 

            Outre-manche, le messager Gabriel Jars avait su captiver l’Art de la fonte des canons Anglais, au moment où le Roi de France envisageait plus que jamais le débarquement, sur les côtes Anglaises. Le Ministre de la Guerre et des Affaires Etrangères n’était autre que l’illustre Duc de Choiseul, éclatant protagoniste de grande croissance en affaire, en commençant par le fameux trafic de canons Anglais. On le savait capable de grandes étourderies, ces méthodes seront finalement, nous le verrons, d’une stratégie salutaire pour le Royaume de France.

 

Inventeur d’un four

 

            Dans la course à l’innovation des techniques, du savoir de l’Encyclopédie, des connaissances plus générales et des progrès du XVIIIème siècle, l’inventivité et les adroites missions de Gabriel Jars dérangeaient elles le corpus... d’innovateurs Britannique ? La France n’avait, jusque là, montré véritablement aucune ambition métallurgique attractif. Dès sa vingt-troisième année, le jeune Jars est l’inventeur d’un four, des plus avantageux en combustible pour la fonte du minerai de cuivre, qu’il réalisa à Chessy près de Lyon. A une époque où les créateurs étaient déjà contraints à un serment, reconnaître la pleine responsabilité de leurs inventions. Mais autant l’accueil des innovations se trouvait soumise à une cérémonie de preuves rigoureuses, qui requière la présence de savants et de témoins, des yeux dignes de foi, selon la formule d’alors. Enfin les créateurs devaient produire une justification d’utilité à leur imagination et l’obligation d’une communication détaillée avec croquis. Gabriel Jars s’accomplira de cette formalité, en remettant une copie de son fourneau à réverbère, au Parlement des Savants, (Académie des Sciences) une institution pouvant par la même, lui garantir ses droits d’inventeur.

 

            Gabriel Jars bénéficiait de l’appui de Daniel Charles Trudaine de Montigny, Intendant des Finances, initiateur d’une caisse de soutien à la faveur des inventeurs. Le jeune Gabriel... s’en trouvait-il directement bénéficiaire, et, éventuellement jalousé ? A cette déférence, dans l’apologie à l’encouragement des techniques, il y avait également un Grand Prix... au bon plaisir du Roi. On pouvait aussi compter en récompense d’inventions, un «sacrement» avec primes, médailles d’Or et d’Argent. Attribution placée sous l’égide d’un ecclésiastique, l’abbé Nicolas Baudeau, adepte de la physiocratie, autrement dit d’une conception moderne de l’économie, patronnant la prestigieuse Société Libre d’Emulation. Un généreux consortium, se voulant libre, indépendant à l’égard du pouvoir Monarchique, cependant d’une philanthropie patronnée par de grands seigneurs, et des hommes de loi. En quelque chose de ressemblant à la Society Of Arts, de Londres fondée en 1753, ce qui est tout à fait révélateur de l’enthousiasme d’alors, pour le modèle Anglais, en bien des domaines par ailleurs que nous verrons.

 

            La Society Of Art exerçait, entre autre, une bienveillance à l’encouragement des Ecoles formulées du... Dimanche, pour porter le savoir au pauvre à moindre coût. Elle comprenait parmi ses membres le célèbre John Wilkinson, grand-Maître des Forges Anglaises. L’Académicien Français, Henri Louis Duhamel du Monceau en était membre. Concernant l’éventuelle participation de son contemporain Gabriel Jars, la réponse reste posée. La Society Of Arts, bien que d’une multiplicité dans ses capacités institutionnelles à l’égard de l’invention, n’était pas directement liée aux affaires de l’Etat, ce qui aurait pu laisser sous-entendre une spéculation d’affairismes... surtout que cette société alliait novation et capitalisme. A cela, Diderot, par le biais de ses Encyclopédies, prônait une rationalisation de l’invention, alors que la métallurgie connaissait déjà une activité capitaliste intense. Grâce à cela, la société financière tissait des liens avec les inventeurs. Autant les inventeurs Français présentaient une providence pour les entrepreneurs, autant ses derniers devaient aussi tenir compte du pouvoir exercé par le Bureau du Commerce, riche en préoccupations réformatrices, à l’égard de l’individualisme et de la multiplicité des petites entreprises. L’Angleterre s’était déjà organisée en compagnies importantes ; en France, on avait seulement commencé la création du Comité des Forges... au devenir de sa puissance légendaire.

 

            Le Régime du Royaume de France prenait, des mesures financières à l’essor des fabriques les plus indispensables au pays. Ainsi le jeune Minéralurgiste Gabriel Jars était davantage versé dans sa spécialité du traitement mécanique et métallurgique des minerais, concassage, lavage, puis une suite d’opération en fonderie. Ses dispositions techniques répondaient au fait de pouvoir prétendre une aide de la Cour des Comptes, pour la création d’une éventuelle installation métallurgique d’acier innovant. Une pareille faveur d’une patente de Manufacture Royale pouvait aussi, dans la société économique du grand siècle, lui procurait l’honorable titre de Bourgeois Gentilhomme. Dans cette compétitivité d’innovateur, il y avait aussi «l’intronisation» d’audacieux concurrents étrangers, débauchaient par le Royaume de France. Le fameux métallurgiste Michael Alcock, originaire de Birmingham, s’installera, dès 1756, à la Charité sur Loire. John Kay put même bénéficier en France, des atouts d’une structure administrative, ancrée sur les manufactures avant-gardistes, afin de diffuser des métiers à tisser. Clark Shaw et Cie fondera pour sa part une Manufacture de faïence à l’Anglaise à Montereau, animée d une petite colonie de dix-sept ouvriers, tous Anglais. Cet appel aux techniciens étrangers, n’était pas sans conséquence d’humeurs... nationalistes, mais ceci est un autre débat.

 

Maître de Forge

 

            Nous le verrons, par son esprit inventif, son imagination et sa pertinence pour des essais en métallurgie, Gabriel Jars avait ainsi toutes les aptitudes au devenir de Maître de Forge. Peu de temps avant sa mort, en janvier puis mars de cette année 1769, il réussissait aux mines de son père, de Sain-Bel près de Lyon, puis à Hayange, chez le grand Maître de Forge, Ignace de Wendel, la fonte de divers minerais au coke, tandis que de 1750 à 1776 seulement trois inventions avaient concerné l’usage du charbon de terre. Il est aussi vrai que l'utilisation du charbon fossile faisait l’objet de préjugés tenaces. Toutefois par l'utilisation du coke métallurgique, le Royaume de France devenait désormais un concurrent dans la compétition d’une production de fer de qualités supérieures.

 

            Situons-nous à propos, dès lors, plus en avant dans la société du XVIIIème siècle, une division du temps, compris dans la courte vie de Gabriel Jars (1732-1769). Sa majesté Louis XV se trouvait nanti d’un puissant et sournois «Service Secret» dont ne peut pertinemment aborder le fameux cabinet noir et ses serpents... sans faire resurgir l’un de ses principaux instigateurs, le fort habile Comte De Broglie. En outre, pendant le séjour de Gabriel Jars, dans le pays de la langue du premier des poètes dramatiques anglais le plus connu de son temps pour être l’auteur de Roméo et Juliette et d’Hamlet séjournait le mystérieux Chevalier d’Eon, s’accomplissant à Londres, en marchand de canons, avec le zèle que l’on lui sait. Le grand Voltaire devait aussi entre temps, résider à London City, en exilé, du moins avec une bien curieuse complaisance de la gente dirigeante du Royaume de France. Quoique le Roi Voltaire, qui bénéficiait des tolérances religieuses et de paroles de cette nation Outre-Manche, était un homme précieux pour ses relations extra diplomatiques, ne serait-ce déjà qu’avec ses rapports assidus, bien que assez ambigus, avec Catherine II de Russie.

 

            Pour un dernier rajout de situation intrigante, au moment de la disparition de Gabriel Jars dans le Langeadois, des sujets britanniques entretenaient des agitations dans les contrées du futur département de la Haute-Loire, avec pour mission de déstabiliser le souffle prérévolutionnaire naissant. La «terreur» ne serait elle pas, avant tout, une importation anglaise. Dans ce climat de frayeur..., les exploitants de mines d’Antimoine du pays Brivadois se comportaient en «Barons-Fossiers» et voyaient d’un mauvais œil l’arrivée d’Inspecteurs des Mines, tels que Gabriel Jars alors effectivement missionné en Haute-Loire. De surcroît à la même période, des fondeurs d’Antimoine de la région de Brioude frappaient de faux Ecus d’Argent. Quand aux imprimeurs de Paris, ils se plaignaient au Roi, de livraisons irrégulières du régule d’Antimoine d’Auvergne, les proposés de la douane du port de Vichy occasionnaient des retards, défonçant les caisses, sous prétexte de fraude. En réalité, il y avait de leur part encanaillement en surtaxant les droits de franchissements des frontières provinciales. Une invraisemblable époque, c’était en Angleterre que s’effectuait l’affinage de l’Antimoine Auvergnat. Le change en était quoi ? Lorsqu’on sait que l’Antimoine en alliage avec le Plomb convenait à la fabrication des boulets de canons, d’autant plus, ceci dans un climat des coutumières menaces de guerres Franco-Anglaises. Enfin pour une petite appréciation de stratégie d’ordre militaire, les conflits du XVIIIème siècle se prévalaient déjà d’une compétence technique, et non plus purement de l’héroïsme.

 

            À présent pour justifier ce long préambule sur Gabriel Jars, la méthode peut s’avérer productive dans la mesure d’une meilleure approche du personnage en concordance à son époque de vie. Produisant certes, une note d’un plan en deux parties, au risque d’une redite... Les introductions même longues sont parfois nécessaires, toutefois que le texte ne soit pas trop décousu par la suite. Pour avoir dès maintenant fait allusion à son époque de vie, attendons-nous, en plus, de découvrir une intrigue du personnage, à savoir son visage en partie dissimulé par un loup... Soit un masque de velours ou de satin noir, étrangement semblable à ceux que portaient autrefois les Dames lorsqu’elles sortaient... Ajoutons à l’achèvement de son malheureux destin, sa mort fut par ailleurs providentielle pour Antoine Laurent De Lavoisier et Antoine Grimoald Monnet. D’abord, le grand chimiste des Lumières avait été admis en 1768 à l’Académie Royale des Sciences, en même temps que Gabriel Jars, en récompense de l’un et l’autre des services rendus à l’Etat. Ainsi, ils étaient tous deux contraints de partager le même fauteuil, Louis XV n’étant pas parvenue à les départager. Quant à Monnet, il sera autant en compétition avec Gabriel Jars dès 1766, pour entrer à L’institut de France, avec comme proposition, un procédé de fonte du cuivre dans un four à réverbère. Ce qui devait à propos faire dire à Gabriel Jars «il faut bien connaître un art quelconque, avant que de songer à y faire des réformes». Pour sa part, Monnet disposait de bienveillances de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Ministre d’Etat, et premier président de la Cour des comptes.

 

La mort prématurée de Gabriel Jars

 

            C’est depuis le rapport de Monnet, conformément à une inspection officielle des mines d’Auvergne de 1772 que nous prenons connaissance de la mort prématurée de Gabriel Jars. Son successeur s’en trouver effectivement, Antoine Grimoald Monnet, originaire de Champeix près d’Issoire, désormais chargé de mission du Bureau des Mines. Monnet, choisi par Bertin de Saint-Florentin, Secrétaire d’Etat, (Seigneur de Saurier, localité proche de Champeix et d’Issoire P.D.D) sur la recommandation de Daniel Charles de Trudaine, conseiller au conseil du commerce, fondateur du Corps des Ponts et Chaussées.

 

            Lisons Monnet sur la disparition de Gabriel Jars : «... on voit auprès de ce lieu plusieurs montagnes, que l’on peut supposer très justement avoir été volcanisées. On y voit encore des groupes de belles colonnes basaltiques. Celui de Saint-Arçon, à trois quarts de lieue de Langeac, est renommé pour être un des plus réguliers de l’Auvergne. Ces colonnes sont en effet des plus belles et de plus hautes que l’on puisse voir; cette régularité et cette beauté ont été funestes à M Jars, qui, comme tous les minéralogistes, en fut frappé, ce qui le détermina dans le moment même à le dessiner, et comme c’était en plein soleil, il en fut atteint de manière qu’il en périt en cinq à six jours en 1769». Incontestablement, les roches volcaniques de cette contrée du Haut-Allier ont de toujours attiré une certaines curiosité par leurs prismes basaltiques. En cela une bizarrerie de la nature, d’un haut degré esthétique, rythmé d’une puissante et surprenante configuration en colonnades.

 

            Gabriel Jars perdit ainsi officiellement la vie, le 20 août de l’an de grâce 1769, une mort qui survint lors de la pré-industrialisation de la France et de l’Europe. Et au cours d’un lumineux siècle, au sens métaphorique de ses progrès techniques, et d’une science prenant le sens de modernités... se détournant ainsi puisse t’on dire, des illuminations divines... James Watt, mécanicien de son état, construit sa machine à vapeur, Nicolas Josèphe Cugnot invente son étonnant fardier, également mu par la vapeur d’eau. De la sorte, de part et d’autre de la Manche, on révolutionnait les moyens de transports terrestres.

 

            L’année de la disparition de Gabriel Jars coïncide avec le projet de la prestigieuse Ecole Royale des Mines. Depuis, les Ecoles Nationales Supérieures des Mines instruisent des générations d’ingénieurs de haut niveau. Leurs riches bibliothèques sont accessibles au public, l’accueil y est agréable, une gageur pour les chercheurs. Mon déplacement à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne me fut une démarche capitale, pour prendre connaissances des publications de Gabriel Jars.

 

            Le défunt Minéralurgiste Gabriel Jars vit le jour à Lyon, le 26 janvier 1732, sa mère née Jeanne Valioud. Prénommé Gabriel comme son père et ses deux frères, la métallurgie minière est chez les Jars, une affaire de famille, où chacun se distinguera à plus d’un titre. Pour compliquer la parenté, c’est le second qui sera surnommé le «jeune» entendu le plus éminent des fils Jars, auquel la présente note lui est principalement consacrée.

 

Constance de prénoms Gabriel

 

            Il y a une constance de prénoms Gabriel, probablement en raison d’une vie familiale très chrétienne, rappelons que l’Archange Gabriel est le messager céleste dans la force du Christ. Cette succession de prénom Gabriel donne lieu à une embrouillamini, n’échappant pas non plus à Paul Benoit, (1997) professeur à l’Université de Paris I, pour qui la mémoire de Gabriel Jars reste à écrire, nombreux auteurs en effet ne s’accordant pas sur le nombre d’enfants. Paul Benoît se rend aussi à l’évidence le prénom Gabriel, celui du chef de la famille Jars, puis aux inversions entre les trois frères, à savoir qui est Gabriel l’aîné, qui le second, un troisième aussi semblerait-il, finissant de faire persister les confusions.

 

            A la rubrique Gabriel Jars, du «Livre du Centenaire de l’Ecole Polytechnique» (1897), nous lisons ce qui pourrait fournir un achèvement à la désorganisation des prénoms... «On confond souvent Gabriel Jars l’aîné avec son jeune frère Antoine-Gabriel, celui-ci (le cadet) est le véritable auteur des Voyages Métallurgiques, que celui-là (l’aîné) se borna à éditer après la mort de son cadet». Or il n’en serait rien, Fournel l’un des associés de la famille Jars pour les mines du Lyonnais, l’aîné Antoine-Gabriel s’active aux mines et aux ateliers Chessy et de Sain-Bel, le second Gabriel dit le jeune, se passionne pour la mine, et surtout pour la métallurgie.

 

            On lit par ailleurs, que Gabriel Jars (l’aîné) serait né en 1729 décédé en 1808. Viendrait ensuite Antoine-Gabriel (1774-1857), en fait le fils de (l’aîné), puis Gabriel le cadet, ce dernier étant le plus doué de tous, précise la note de l’Ecole Polytechnique. En prenant connaissance de «La Notice Historique sur l’Ecole des Mines de Paris» publiée par Louis-Charles-Marie Aguillon en 1889, on y découvre un ordre chronologique : Gabriel l’aîné, Antoine-Gabriel et Gabriel le cadet, celui-ci étant le plus doué de tous.

 

            Enfin si l’on s’en tient à l’éloge funèbre prononcée à l’Académie des Sciences, à l’intention de Gabriel Jars, il était le cadet de six enfants, trois garçons et trois filles. A propos d’Antoine Gabriel Jars (1774-1857), plus spécialement officier de génie, auteurs de comédies musicales, Maire d’Ecully, fait Maire de Lyon par Napoléon aux Cents-Jours, et Père de France. Une série de publications intitulées «La Nouvelle Revue Héraldique et Archéologique de Lyon» (1934) nous procure des articles se rapportant à la famille Jars. Ainsi la «Revue d Histoire et Sociale» dont le numéro de l’année 1912, fait l’éloge funèbre de Gabriel Jars (1732-1769).  

 

            Suivant le discernement de notre propos, nous devrions avoir à porter notre attention à Gabriel Jars (1732-1769), dit le jeune, en personnage central de la note. Les affirmations de Fournel nous semblent en cela plus tangibles, pour avoir directement côtoyé la famille Jars. Subséquemment à une pièce d’archives, nous avons aussi une forme du nom patronymique Jars, se terminant par la lettre : Z. Le document en question relate le parrainage de la troisième cloche de l’église de Chessy le 4 mai 1752, son bienfaiteur Gabriel Jarz, négociant en la ville de Lyon, «intéressé» aux mines de Chessy et de Sain-Bel. Vraisemblablement une cloche réalisée à partir du minerai de Cuivre de la mine de Chessy.

 

            Présentement revenons à Gabriel Jars le (jeune), pour moins s’y tromper, né du temps où Marivaux écrivait «Les Serments Indiscrets», comédie de la meilleure du genre en prose, en cinq actes, représentée pour la première fois le dimanche 8 juin, effectivement de l’année 1732. Mort dans son trente septième printemps en l’année 1769, Gabriel Jars est dans la meilleure disposition des minéralurgistes de l’ancien régime. Le mot minéralurgiste peut surprendre, il provient d’un vocable suranné certes, néanmoins définissant la spécialité de Gabriel Jars, pour la fonte des minerais en produits métallurgiques. C’est effectivement à partir de la transformation des minerais métallifères en métaux... qu’il a forgé sa propre légende en la matière.

 

            Le mot minéralurgie, couramment usité au XVIIIème siècle, englobe aujourd’hui un subtil alliage... de dénominations se rapportant aux travailleurs du fer et à leurs lieux de travail : métallurgie, sidérurgie, aciérie... La «Revue Technique de l’Exposition Universelle de 1888» consacrait un chapitre intitulé : Minéralurgie. En substance à cela, le mot minéralogie proprement dit, remonte à 1753, avec la traduction de l’ouvrage «Minéralogie» (1747) de Jean-Gotschalk Wallerius, terme désignant encore seulement la science des sels. Par sels, il était question du mode de croissance de certains minéraux en lames parallèles.

 

            Le célèbre directeur du jardin du Roi Georges Leclerc, comte de Buffon, pour l’achèvement de sa forge à Montbard en 1767, sollicita des autorités les compétences du minéralurgiste Gabriel Jars. Pour ses aptitudes à parfaire la fonte des minerais, Gabriel Jars pouvait prétendre un bel avenir, dans les enjeux de son siècle, où l’on chercher à produire autant de fer d’aussi bonne et meilleure qualité que celui de Suède et d’Espagne.

 

Coup d’œil du maître affineur

 

            Il revient à Gabriel Jars d’avoir discerné la qualité de la fonte, en raison de la vitesse de son refroidissement. Au cours du XVIIIème siècle, les techniques métallurgiques ne sont aucunement scientifiques : pour différencier la qualité du fer en fusion, tout est fonction du tour de main et du coup d’œil du maître affineur. Aujourd’hui, nous avons connaissance des principes thermodynamiques liés à l’agitation thermique, plus spécialement l’implication des atomes et des molécules, dont l’amplitude croît avec la température.

 

            Gabriel Jars est plutôt élevé dans l’aristocratie provinciale, le contraire d’un «rouletabille» de bas quartier, gamins au caractère bien tremper et qui ne bénéficient d’aucun privilège à la naissance. Son père, ayant la possibilité de lui offrir une éducation longue et coûteuse, le fait inscrire au grand collège de Lyon, un établissement réputé qui avait pour devise populaire... l’Université de Paris (actuel Lycée Ampère). Le jeune Gabriel suit donc les meilleures études, avec l’apprentissage de l’Anglais, de l’Allemand et du Latin, prestigieuse langue pouvant l’assurer de parvenir au concours d’entrée à l’école Polytechnique et d’acquérir une aptitude en expression orale et écrite.

 

            Gabriel jars a bénéficié ainsi d’une préoccupation parentale bien légitime pour lui assurer de bonnes études et recevoir une éducation accomplie, reposant sur l’apprentissage des valeurs morales. L’acquisition de connaissances intellectuelles, pouvant le projeter d’une suprême ascension sociale, afin de rester dans la bourgeoisie, à savoir une bourgeoisie professionnelle, pas une bourgeoisie oisive de la rente, plutôt l’existence subordonnée d’une réussite sociale, lui permettant de s’intégrer à un mode de vie de groupe, résolu à une certaine éthique, des hommes savants et de compétences spécialisées.

 

            La prestigieuse carrière de Gabriel Jars commença dès la fin de sa scolarité en 1751. C’était un élève très doué, immédiatement remarqué comme brillant élève par l’Inspecteur Général de l’Artillerie Jean-Florent de Vallière, lors de son passage à Lyon. Celui-ci le recommande auprès de l’Intendant des Finances Trudaine, fondateur de l’Ecole des Ponts et Chaussées à Paris. Il l’inscrit à son établissement, où l’on enseigne les mathématiques, le dessin, le lever de plans, et la chimie professée par Laplanche, apothicaire du Roi. Les études de Gabriel Jars le disposeront aux principes de la minéralurgie, le dévoilant aussitôt avec vitalité.

 

            Après ses deux années obligées à l’Ecole des Pont et Chaussées, Gabriel Jars rejoint Lyon en 1752, pour travailler auprès de son père, directeur des mines de Sain-Bel et de Chessy. Les mines de cuivre des Monts du Lyonnais, protégées ouvertement par Trudaine, contribuaient à l’essor de la chimie Lyonnaise, la fabrication de l’acide sulfurique à partir d’un sulfure de fer et de cuivre : la pyrite. De cette transformation d’acide sulfurique, il subsiste dans l’un des plus vieux quartiers de Lyon un nom sulfureux : la Vitriollerie, une usine dans la ville si l’on peut dire. Lyon fût une ville de province qui, dès le XVIIIème siècle, évolua en atelier du royaume, avec une concentration d’artisans hors pair qui en fit des corporations prospères. Les soieries façonnaient le renouvellement des dessins et l’invention de nouveaux métiers. La ville de Lyon avait les égards d’un régime douanier spécial, disparaissant à la révolution.

 

            Lyon se prévalait autant depuis le début du XVIIIème car elle était pourvue d’une caisse affectée au soutien des activités économiques de la ville, partagé entre l’Hôpital de Charité et l’encouragement à l’industrie. On ne sait si Gabriel Jars perçut en récompense de son fourneau à fondre le minerai de cuivre, une gratification du fond spécifique à l’invention. Corrélativement à cette particularité Lyonnaise, l’Angleterre disposait d’aides comparables, par le biais de concours destinés à promouvoir la recherche technologique des entrepreneurs, récompensant les meilleurs dans la diffusion des informations techniques des machines.

 

Seul élève de l’Etat

 

            En 1753, Gabriel Jars fut le seul élève de l’Etat envoyé en stage : en premier lieu en Bretagne, auprès de la célèbre mine de plomb argentifère de Poullaouen, la plus importante de France puis dans les plus belles exploitations minières d’Europe, dirigées par l’Ingénieur Saxon Koenig, également Inspecteur des Mines de Basse-Bretagne. En second lieu, au cours de la même année, rejoint Sainte-Marie aux Mines, et le grand Maître-Fondeur et Maître des Mines : Crétien-Frédéric Schreiber (1695-1767). Comme pour la famille Jars, le nom Schreiber suscite maints échos chez les historiens miniers. En effet l’aîné des fils Théophile-Henri Schreiber et le second Crétien-Jacques Schreiber sont en situation de Maîtres des Mines. Les mines Bretonnes de Poullaouen et Alsaciennes de Sainte-Marie subsistent de la sorte en écoles pratiques. Dès la création des Ecoles Royales des Mines en 1783, les élèves sont dans l’obligation d’aller sur le terrain.

 

            Rentré à Lyon aux côtés de son père et ses frères, Gabriel Jars se consacre avec ardeur à de nouvelles occupations : aux mines de Sain-Bel et de Chessy. Ingénieux, il œuvre, à l’âge de 23 ans à la construction à Chessy d’un grand four d’affinage à réverbère. Le jeune Gabriel se projette en enfant prodige des Lumières, son four, une merveille du genre, le plaçant désormais, parmi ses inventeurs solitaires plein de promesses et d’idées techniques radicalement nouvelles. Pour sa part, il chercha à rompre avec l’archéologie des Arts du Feu tout en privilégiant la ventilation naturelle.

 

            A la suite d’une conception innovante, son fourneau... répondait déjà à la nécessité d’une métallurgie pré-industrielle, dans l’avantage de diminuer considérablement les déperditions de la chaleur et de traiter, avec une consommation moindre de bois, jusqu’à cinquante quintaux de cuivre noir, alors que les anciens foyers n’en acceptaient que deux à trois quintaux à la fois. Parmi les originalités techniques proposées par le jeune inventif, se trouve une cheminée fort élevée, pour augmenter le courant d’air dans le fourneau, divisant les particules de feu et donnant ainsi plus de force pour pénétrer dans les pores du métal. Poursuivant avec intelligence en la matière, il conçoit son four d’une judicieuse inclinaison de la tuyère, le vent des soufflets étant alors directement projeté sur les minerais de cuivre.

 

            Cette sorte d’installation métallurgique créée par Gabriel Jars captive aujourd’hui l’attention des archéologues miniers non seulement par le choix des matériaux, mais aussi par la profondeur des fouilles, pour sa stabilité, pour le tracé des canaux, pour le passage de l’humidité, pour la conception du foyer... Les fontes du minerai de cuivre duraient 8 à 10 heures, nécessitant un maître de forge et deux aides. Les premiers essais furent immédiatement concluants, malgré la présence de fer dans le minerai de cuivre de Sain-Bel et le zinc de celui de Chessy qui diminuait la qualité des affinages. En génie de la minéralurgie, Gabriel Jars parvint à remédier aux difficultés des coulées, en alliant une quantité de plomb aux minerais cuivriques, un procédé innovant qu’il s’empressa de communiquer à l’Académie Royale des Science de Paris.

 

            La culture matérielle avait sa place dans les connaissances des Lumières... allant du discours savant aux pensées théoriques et jusqu’à inventer une ère nouvelle... : celle de la technologie politique. A partir du XVIIIème siècle, les inventeurs sont à leur tour choyé par les Sociétés Savantes, s’engageant à concurrencer la légitimité de l’Académie des Sciences. Lorsque les inventeurs s’adressaient plus particulièrement à l’Académie des Sciences, leurs démarches revenaient à l’intérêt d’une meilleure garantie dans la protection de leurs créations.

 

            Suivant Liliane Hilaire-Pérez (2000), il devenait difficile, particulièrement à la fin du XVIIIème siècle, de faire valoir un titre exclusif d’invention, sans le recours de procès, pourtant aléatoires et onéreux. Certaines démarches procédurières étaient inévitables. Une fois gagnées, elles renforçaient ensuite les capacités des inventeurs à marchander avec les acquéreurs.

 

Baptême du feu

 

            Aussitôt son baptême du feu accompli aux mines Lyonnaises de Chessy et Sain-Bel, Gabriel Jars se distingue en qualité de Contrôleur des Mines en 1755, année du mémorable et désastreux tremblement de terre de Lisbonne. Tandis que les Anglais avaient déclaré la guerre, âgé donc de 23 ans, il est commandité par le gouvernement de délicates missions sur les procédés techniques du Royaume-Uni. En plus d’approcher au mieux les traitements des minerais métalliques adoptés, il se voit chargé de s’informer sur les raisons de l’accroissement industriel de la Grande Ile. Son premier séjour Outre-Manche devait se dérouler en compagnie de Jean-Pierre François Guillot Duhamel, ancien élève comme lui du Corps des Ponts et Chaussées.

 

            De retour d’Angleterre en 1757, lorsque se publient des pamphlets orduriers contre Louis XV, fautes de crédits, Gabriel Jars désormais seul au service du contrôle des mines. Néanmoins à cette résolution, sous les directives de Trudaine, il repart aussitôt en compagnie de sont frère aîné, pour s’instruire sur les secrets de fabrications, et les techniques métallurgiques les plus avantageuses de différentes nations Européennes : Liège, Hanovre, en Saxe, au Tyrol, au Hartz, en Bohême, Norvège, Hongrie, Styrie, et en Suède. Ce dernier pays produisait des fers et aciers d’une grande réputation, le fer Suédois et paré au XVIIIème siècle de tous les prestiges. Cependant, au point de vue de la mutation technique, la métallurgie suédoise est en retard dans le secteur de pointe de la métallurgie anglaise. Le déplacement des deux frères Jars dans cette partie de l’Europe central devait les conduire jusqu’en Carinthie.

 

            A la suite de leur longue traversée de l’Europe, les deux minéralurgistes ont ramené un important échantillonnage de minerais. Ils en remettront au comte De Buffon, puis au dénommé De La Tourette à Lyon. Une autre partie sera déposée à Sain-Bel pour les visiteurs de la mine. Au XVIIIème siècle, les connaissances scientifiques ont suffisamment évolué pour que l’on puisse déterminer les différents règnes de la nature. Un engouement surtout développé dans la haute société et la bourgeoisie éclairée où se créent alors des cabinets de Curiosités, d’abord à Paris, puis en province. Ces chambres des merveilles nous ramènent à Diderot, pour qui le curieux est un homme qui amasse... Une culture de la curiosité triomphe particulièrement sous le règne de Louis XV, ayant pour conséquence, un phénomène de société où la vanité autant que la science y trouvent son compte.

 

            Durant tout le XVIIIème siècle, la connaissance scientifique tient une place centrale dans la vie intellectuelle et culturelle française et fait désormais l’objet d’une idée publique. A coté de cela, dans une science hiérarchisée de savants naturalistes, dont des aristocrates, prêtres, notables locaux, on intercepte la classification de trois règnes : Minéral, Végétal, Animal, un abrégé de la nature entière, un étalement de choses, qu’on ouvre à un cercle d’amis ou d’initiés. A la suite de ces cabinets d’un savoir mondain avant tout, les antiquaires prennent peu à peu le pas, et ce sont les futurs Musées disposant plutôt de la belle Antiquité. Par la création d’un réseau de Musée ramassant tous les produits de l’Art et de la Nature, le siècle des Lumières apparaît ainsi d’une certaine façon l’inventeur de notre paysage culturel.

 

            Par là même, le terme siècle des Lumières s’inscrit dans une représentation morcelée de l’histoire, dans le sens d’un âge métaphoriquement lumineux, puisque une époque, incarnant plus de pensées philosophiques, un âge nouveau de l’humanité, un âge de progrès matériels rapides, de bouleversements sociaux, et plus libertaire...

 

            Le développement de l’activité minière notamment au Grand Siècle, favorisait la collecte d’échantillons de minéraux, des fossiles y sont parfois joints. En marge des enthousiasmes à connaître des choses nouvelles, se déploient les idées philosophiques qui seront, à leur tour, créatrices de bureaux d’esprit et de littérature, capable de communiquer avec un public plus large. Sur des idées forces, les croyances, les connaissances, les mentalités, les mœurs, disons des vérités objectives pleines de sens, où s'ébauche toutefois autant le cartésianisme.

 

            Depuis la Hongrie Gabriel Jars leva le plan et dressa un mémoire, d’une machine à eau et à air mise en service pour la première fois en mars 1755 aux mines de Schemnitz. Ce considérable district minier, dit Monts-Métallifères, possédait dès lors son Ecole des Mines pour former d’ingénieux techniciens habiletés à diriger les exploitations avec compétence. L’existence de cette école à Schemnitz conforta l’idée à Gabriel Jars, d’une Maison des Mines en France, tout autant reliée à un site minier.

 

            À l’exigence d’une métallurgie minière raisonnée, la France se trouvait dans la nécessité de se prévaloir de voyages à l’étranger, l’unique possibilité pour se garantir d’une civilisation technicienne bien à propos, en raison de ses ambitions économiques et les réorientations de sa dynamique sociale. Au cours de ses voyages demandant beaucoup de courage, d’esprit et de force de corps, Gabriel Jars observe, apprend, surtout à un moment donné d’une façon primordiale, nous en avons parlé, la fonte du minerai de fer avec du charbon de terre. En 1755 la production de l’acier en France est toujours obtenue à 95 % par le vieux procédé d’une simple bouche à feu fonctionnant au charbon de bois, à une époque où l’on essayé d'autre part, à s’expliquer géologiquement l’origine du charbon de terre, autrement dit la houille. On venait par là même d’inventer sans que le mot soit encore vraiment d’usage, la notion d’énergie fossile, et les défis énergétiques qui s’en sont suivi, comme l’on sait depuis.

 

            Dans son traité : «l’ART du CHARBONNIER» l’Académicien Duhamel du Monceau dénomme Gabriel Jars en homme de génie en ces termes : «Un des objets fur lesquels cet académicien crut devoir jeter les yeux, fut la manière de préparer, le charbon de pierre pour l’employer utilement dans les opérations métallurgiques; il fit à ce fufet toutes les recherches proffibles et me fit part de ses conjectures et des moyens qu’il imaginait pour arriver au même point que les anglais». En effet, aux forges de Carron en Ecosse, Gabriel Jars percevait les propriétés du charbon de terre réduit en coke, pour différents usages selon ses qualités. A partir de cette appréciation décisive sur les capacités du coke, à substituer le bois Gabriel Jars créa dès 1768, au Creusot une forge à l’anglaise, à partir du charbon du sillon houiller de Couches-les-Mines. C’est une réalisation d’autant plus réussie que, sur les instructions du technicien Britannique William Wilkinson venu en France, pour les aciéries d’Hayange, lesquelles contrairement à une légende bien ancrée, à aucun moment de leur histoire le site industriel ne produit des canons.

 

            Jusque là, François de la Chaise avait songé à établir une verrerie au Creusot. Mais, Gabriel Jars, visionnaire d’une civilisation matérielle, le persuada du contraire par l’établissement d’une forge. Il est investi ensuite dans l’aventure de la Révolution Industrielle à devenir un grand centre métallurgique, d’une France d’alors, de 30 millions d’habitants. Dès lors le Creusot avec la société Schneider devient une ville migratoire, se produit une conséquente attraction urbaine, d’une main-d'œuvre venue presque de toutes les campagnes environnantes. Un véritable libéralisme économique, suivi de règles sociales question d’époque. La cokéfaction de la houille, n’était pas sans créer quelques inquiétudes chez les bûcherons, un exemple des mutations de la société, par la grandeur et déclin d’un paradigme. Quand la science humaine structuralise socialement et culturellement, l’individu, lui, crée les faits sociaux.

 

            En conséquence du passage de Gabriel Jars, le Creusot évolue rapidement en symbole de l’usine, de grandes halles abritent quatre hauts fourneaux, fours à réverbères, marteaux de forges, ateliers fonderies de canons, et machines à vapeur, soit un incontestable laboratoire pour la société métallurgique du siècle suivant. Sans une autre disposition, Gabriel Jars est l’inventeur historique en France de la métallurgie à partir de l’usage du coke. Nous l’avons souligné par ailleurs, de 1700 à 1749, aucune invention adressée au gouvernement ne concernait l’usage du charbon. Seulement trois inventions sont présentées de 1750 à 1776, les premières sont du jeune Lyonnais.

 

Manufacture Royale

 

            Cette évolution industrielle spectaculaire du Creusot survint seulement deux années après la mort de l’actif génie des Lumières : Le Prince Nassau-Saarbruck. A partir de ses fourneaux à cokéfier, obtint en 1771 le prestigieux titre de Manufacture Royale. Dès lors Le Creusot se couronnera du site industrieux que l’on sait, employant seize mille salariés au siècle suivant, un ensemble fort hétéroclite de l’ouvrier rural, au technicien; où se conjuguent capitalisme et paternalisme, poursuivis par un catholicisme social, à l’origine des sociétés de secours, approuvées dès les débuts des années 1850. Adolphe Thiers les souhaitait plutôt libres...

 

            Jusqu’à la première moitié du XVIIIème siècle, nos techniques métallurgiques n’avaient guère évolué de la durée Médiévale. Désormais la conscience technologique s’éveillait en France dans la spécificité du terme. Jusque là c’était une France d’une incapacité économique dénoncée par Gabriel Jars dans la préface du premier de ses ouvrages magistraux «Voyages métallurgiques», d’une rareté au prix actuellement de 1.500.00 à 2.600.00 £ chez les bouquinistes. Lisons à propos ce passage accablant «... le retard de l’industrie métallurgique; un art trop négligé depuis plusieurs siècles...». Gabriel Jars parvient ensuite à la question « pourquoi la France ne se procurait-elle pas les même avantages, à l’exemple de nos voisins Anglais et Ecossais ?». Rappelons qu’il connaissait fort bien la Grande Ile. Assurément l’Angleterre était considérée comme une nation originale et un monde nouveau ; il convenait donc de l’imiter dans ses méthodes, pour produire et vendre. On en était arrivé dans la période prérévolutionnaire, à contrefaire couramment ses produits, les fameuses... Patentes Anglaises. A la fin de l’ère Victorienne des Hanovres, l’Angleterre affirmait sa supériorité, sur ses concurrents du continent Européen. Avec le progrès de ses filatures, elle s’assurait en usine du monde, fournissant les deux tiers de la production industrielle mondiale. La notion matérialisme... prenant ici clairement une connotation civilisatrice est aussi une invention Anglaise.

 

            En conséquence, peu à peu les nouvelles réalisations techniques s’appliquaient en France. Pour combler le retard, non seulement il était urgent d’évaluer ce qui ce faisait à l’étranger en matière de mines et de métallurgie, mais ainsi les procédés de fabrication se prévalaient naturellement du secret, l’espionnage industriel devenait une nécessité. Les secrets de fonte des canons, se monnayaient chèrement, bien que les dépenses militaires de l’Ancien Régime étaient déjà importantes.

 

            Il est aussi vrai que les inventions consolidaient les assises matérielles de la puissance militaire. La guerre au cœur du XVIIIème siècle était devenue (nous y avons fait allusion), une affaire de techniques et de compétence, et non plus d’héroïsme. D’une autre évidence, l’essor de l’Art militaire revenait considérablement à l’invention de l’artillerie, découlant par là même des progrès métallurgiques.

 

A l’ère des procédés modernes du XVIIIème siècle, la diffusion du machinisme s’accélère, les marchands-fabricants français s’efforceront d’adopter les fabrications anglaises. Le pays est obsédé par la quête du renseignement stratégique, une incitation aux technologies nouvelles à se lancer dans des créations inédites. Le problème de l’acier préoccupait tant les spécialistes du Royaume, que des artisans seront envoyés à l’étranger. On copiait à tout va... dans une stricte clandestinité. Par exemple, dans la petite ville de Thiers, en la province d’Auvergne, typiquement coutelière, on y reproduisait déjà depuis sept siècles des couteaux et rasoirs anglais. Philippe Onuphre Desmarets, penseur... de Louis XV, parcourra en personne la Hollande et ses voyages seront féconds pour la papeterie Ambertoise.

 

            A l’ère des explorations et voyages scientifiques..., à Ambert, petite bourgade d’Auvergne, on imitait déjà depuis le XIVème siècle le papier Anglais chez de nombreux papetiers des Monts du Forez. Dans la même contrée du Livradois, un commerce d’articles de merceries de bonne réputation, fabriquaient des jarretières à la façon Anglaise, une partie de la production était exportée dans les pays étrangers. L’hôpital général de Clermont-Ferrand utilisait des pansements d’imitation anglaise. Dans ce contexte socio-économique, une comédie populaire parisienne des années 1760 en était venue à caractériser l’Anglomania... qui n’avait à la bouche que du thé, ne lisait que Shakespeare, proclamait que les Maîtres de l’Humanité étaient nés à Londres et que c’était auprès d’eux qu’il fallait chercher conseil.

 

L’ère de l’espionnage

 

            Le XVIIIème siècle tend à se caractériser comme l’ère de l’espionnage au sens moderne du terme. En plus d’une correspondance confidentielle avec ses agents diplomatiques, Louis XV, en homme anxieux, mais aussi impénétrable et indéfinissable, disposait de surcroît d’un service secret, fonctionnant à l’insu des ministres et de la cour. Le fameux Secret du Roi, mis en place à partir de 1758, est jusqu’à la mort du Souverain, fonctionna sous la responsabilité de Charles-François de Broglie. Le Comte de Broglie ne manquait pas de stratégie, tenant les fils d’un réseau parfaitement cloisonné, s’étendant de Stockholm à Constantinople, de Saint-Pétersbourg à...Londres d’évidence.

 

            La France était alors gouvernée par Louis XV le Bien-aimé qui devait malgré lui affronter les attaques dérangeantes de l’esprit inconvenant du grand Voltaire et de la Franc-maçonnerie naissante. On comptait à Lyon de 1754 à la Révolution vingt loges maçonniques. Monsieur Voltaire, peut-être pour paraître moderne, prenait part à l’espionnage. Il fallait de solide conviction pour s’accomplir dans de pareille imprudence, ceux qui en savaient trop finissaient par faire connaissance avec la Bastille. On disparaissait mystérieusement, certains agents secrets ne s’employant qu’à de simples besognes de police. Au nombre des espions du Roi, se trouvait le provincial et Gentilhomme Louis-Hector de Ségur natif d’Allanche (Cantal) et Mousquetaire du Roi Chevalier de Saint-Louis qui vécut de 1726 à 1790.

 

            Poursuivons dans l’étrange siècle et les activités ambiguës de certains personnages. Revenons justement à l’étrangeté de Voltaire, lorsqu’en exil volontaire à la Haye, il se comportait non seulement en agent secret de premier rôle, mais aussi en Roi de l’Europe en déjouant, depuis Les Pays-Bas, la coalition Prusso-Hollandaise ou à vouloir arracher l’Alsace et la Lorraine à la France. A la suite de cela, l’Angleterre faisait habilement d’intelligentes offres à Frédéric II, ce dernier privilégiant les modèles Français en matière de littérature, écrivant et maîtrisant parfaitement la langue de Molière. Parmi les invraisemblables personnes enrôlés dans le Secret, nommons l’abbé Jean-Louis Soulavie, provincial du Vivarais, maîtrisant parfaitement la géologie plus connu sous le nom de Giraud de Soulavie, d’une liberté dérangeante, par sa légèreté... à la vie parisienne, à bien des égards dont la fréquentation assidue des cafés d’éloquence, où la facilité de parole relevait d’un caractère expressif, de théâtre et d’antichambres... Enfin, nous ne serions oublier le fameux Beaumarchais qui n’avait pas son pareil, intrigant individu, passant pour un épiphénomène des Lumières, adroitement depuis Londres, par la tonalité de son verbe faisant mouche..., son ironie autorisant toutes les insolences... Ainsi il parvint à éviter une guerre de plus entre l’Angleterre et la France.

 

            Gabriel Jars, très impliqué de voyages à l’étranger, n'incarnait-il par là même, d’une providence à devenir un agent de renseignements, en garçon intelligent, vif d’esprit, pour une pareille implication ? En Angleterre, il eut certainement maintes circonstances de croiser sur son chemin son contemporain, le plus équivoque agent du secret du Roi, le Chevalier d’Eon, alors secrétaire d’ambassade à Londres, meilleur escrimeur de son temps. On sait combien son attachement était grand à son pseudonyme «La Chevalière d’Eon» et on croit en connaître la raison à vouloir ainsi s’habiller en femme. Dans les services secrets du XVIIIème siècle, on tuait les hommes, pas la gente féminine. Autrement, il est d’évidence qu’un informateur idéal se devait de rester dans l’ombre, à l’abri du regard de ses contemporains.

 

            Les sujets Britanniques bien nés, (nous faisant dire de Marmontel : «Ah quel présent nous fait le ciel lorsqu’il nous donne de bons parents»), se devaient de parfaire leur éducation en s’adonnant sous la forme pédagogique au Grand Tour, non pas jusqu’à la découverte de nouvelles terres inexplorées mais l’Europe, des lieux connus, avec un tropisme particulier pour l’Italie, toutefois le passage restait obligé par la France, avec les globe-trotters anglais, c’est la création du Club Alpin. Bref, des voyages initiatiques, pour élargir leurs connaissances des pratiques sociales et politiques de divers Etats du Continent. La curiosité de ces voyageurs ne manquait pas de déchaîner en France une psychose de l’espionnage, puisque certains individus vivaient dans l’ombre de la clandestinité, et empruntaient des pseudonymes. Malgré leurs promenades innocentes... sans le moindre soupçon, on les voyait à la solde du fameux William Pitt, premier ministre de Grande-Bretagne qui subissait cependant dans son pays des attaques pamphlétaires caractérisées à coup de crayons, à la mode Anglaise naturellement.

 

            Le voyage domine l’âge des Lumières, illustre de manière exemplaire la vocation de l’homme à la mobilité, fort aussi de sa conviction, que science, utilité et progrès vont d’un même pas. De ce fait s’impose plus particulièrement la curiosité des innovations des deux cotés de La Manche, de hardis découvreurs, réciproquement émerveillés par leurs découvertes, à en tenir un journal pour beaucoup. En ce combat des Lumières Françaises et Anglaises, dans une discipline morale du savoir, il leur était parfois reproché, notamment aux plus jeunes excursionnistes, d’amusements frivoles des salons mondains, parfois avérés de bals masqués. C’est à un bal masqué royal que Madame de Pompadour rencontra Louis XV.

 

            On ne saurait trop faire une grande part aux acteurs des Lumières, sans mettre en évidence les détracteurs des Lumières. Ce déterminant d’un refus de voir s’accroître le rôle de la raison, où apparaît insidieusement ou ouvertement la critique de la foi, des mystères, des miracles, la Bible. Somme toute, les Anti-Lumières résistaient à la mutation culturelle et sociétale...

 

Patentes Anglaises

 

            D’une autre façon, la course aux techniques innovantes, s’exerçait d’une débauche des hommes habiles... parmi les sujets Anglais, et malgré le tourbillon prérévolutionnaire, s’installeront en France, le docteur John Andrews spécialiste de science politique, le Comte Léopold Berchtold, le docteur Maihows, et Tobias Georges Smollette. Ce dernier était un exemple d’excursionniste sillonnant le Royaume de France de 1763 à 1765, suivi d’un séjour de deux mois en Italie. Nous ne saurions omettre le célèbre agronome Arthur Young, demeurant en France de 1787 à 1790, John Kay, l’inventeur de la navette volante en 1747, bientôt suivi de Michael Alcock, un industriel de Birmingham, de Richard Arkwright, l’inventeur d’une célèbre machine à filer le coton, et des frères Wetter, devant créer une fabrique d’Indiennes à Orange, au moment où les industries textiles enregistrent des progressions spectaculaires. Les ressortissants Anglo-saxons survenaient sur le continent avec leurs précieuses Patentes Anglaises, assurés d’une exclusivité en France.

 

            Ces inventeurs tentaient l’aventure Française en ce siècle de glorieuse croissance économique. La poussée de la concurrence, et les difficultés à imposer le machinisme dans leur pays, ou bien à cause d’embarras financiers, voir juridiques. Le Bureau du Commerce, incité à leur arrivée en France, singulièrement sous l’impulsion de John Holker, un Britannique devenu Inspecteur Général des Manufactures, nommée par Trudaine en 1755, naturalisé Français l’année suivante.

 

            Pour un excursionniste Anglais à l’esprit objectif et de critiques incontestables, Arthur Young, lors de sa traversée de l’Auvergne en 1789, découvre une province caractérisée par une laideur liée à son hygiène (la ville de Riom n’est nullement concernée, là trouvant assez jolie et toute volcanique, d’où l’on tire des carrières de Volvic une lave hautement curieuse pour un naturaliste, précise-t-il). Il vient ensuite à la Limagne d’Auvergne, que l’on affirme être la plus fertile de toute la France, mais c’est une erreur, se pourvoit-il j’ai vu des terres plus riches, à la fois en Flandres et en Normandie. Grâce à cela, la France du XVIIIème siècle, apparaît comme une grande puissance agricole possédant, en gros, le quart des terres arables Européennes.

 

            Arthur Young, dans ses informations précieuses sur la France rurale, tient des propos plus délicats pour Clermont : «La ville est aussi construite et pavée de la lave; la plus grande partie de la ville forme l’un des endroits les plus mal bâtis, les plus sales et les plus puants que j’ai vus». Poursuivant avec pertinence ses remarques «il y  beaucoup de rues qui, pour la noirceur, la saleté et les mauvaises odeurs, ne peuvent être comparées, qu’à d’étroits canaux, percés dans un sombre fumier». D’une autre objection, toujours pas du meilleur goût, en France, on ne connaît pas les commodités, l’honnête voyageur doit aller fertiliser, en pleine nuit les prés qui entourent les auberges. Nous pouvons encore faire part du parcours en France en 1765, de l’écrivain anglais Cradock... : accompagné de son épouse, ainsi que d’un domestique, ils auront aussi à se plaindre des tavernes, où les fenêtres s’ouvrent à la pluie autant qu’à la lumière, torchons, balais et brosses ne figurant pas dans le catalogue des objets nécessaires à une auberge française. 

 

            Sans faire plus dans la nuance d’une Auvergne, un nombril de la France crasseuse et puante... Discriminons la traversée contraire de la Manche avec Barthélemy Faujas de Saint-Fond, visitant l’Angleterre, l’Ecosse et les Hébrides, en 1784. Le naturaliste Français demeure frappé par Birmingham, ville des plus curieuses de l’Angleterre, par l’activité de ses Manufactures et son commerce. Dépeignant en substance : «Je sais que quelques voyageurs ont désapprouvé la plupart de ces établissements d’industrie et d’utilité. C’est qu’ils n’avaient pas daigné porter leurs regards sur ces vastes ateliers où l’on fabrique les pompes à vapeur, ces machines étonnantes dont le perfectionnement fait tant honneur aux talents et aux connaissances de M Watt. Ni sur les lamineries de cuivre sans cesse en activité pour le doublage des vaisseaux, ni sur celles de tôle et de fer qui rendent la France tributaire de l’Angleterre, ni sur cette partie si étendue, si variée, de quincaillerie qui occupe avec tant d’avantages plus de trente mille bras et oblige l’Europe entière et une partie du nouveau monde à s’approvisionner ici». Pour une autre perception éclairée de Faujas de Saint-Front, «C’est l’abondance du charbon de terre qui a fait ce miracle en Angleterre», sa Révolution Industrielle somme toute...

 

            Le Quinzième mémoire des magistraux ouvrages de Gabriel Jars énonce distinctement : «La Manière de Préparer le Charbon Minéral» autrement appelé Houille, pour le substituer au charbon de bois, précise-t-il dans la partie introductive. Dans son développement des usages de la houille, il expose que la quantité de bois diminue sensiblement dans le Royaume, que les forêts se détruisent par les coupes, sans être remplacées par des plantations équivalentes. En plus de ses préoccupations après son voyage en Angleterre de 1765, il apostrophe les procédés Anglais pour employer utilement le charbon dans les opérations métallurgiques, ainsi la modernisation de nos mines comparativement à celles d’Angleterre, où des rails en fer équipent les galeries. Les premières du genre ne sortiront qu’en 1783 des aciéries du Creusot. Son onzième mémoire concerne encore les procédés Outre-manche, mais pour la mise en œuvre de la poterie.

 

            Le charbon fossile nuisait parfois aux fontes des métaux, suivant les degrés de températures, et selon ses qualités. Une opération de désoufrage des charbons minéraux s’imposait. Le jeune technicien en Minéralurgie s’attache à décrire les façons d’obtenir un charbon de pierre en un bon coke, propre à l’usage des forges et fourneaux, donnant lieu à un écrit intitulé «Mémoire sur le Charbon désulfuré». Depuis Sain-Bel, fin janvier à avril 1769, Gabriel Jars opère des essais comparatifs sur deux fourneaux identiques à manche de sa conception, l’un fonctionnant ordinairement au charbon de bois, l’autre garni de coke. Les résultats chiffrés, fournissent un temps de fusion du minerai de cuivre de 330 heures au charbon de bois, limité à 251 heures avec du coke. Gabriel Jars en conclut un gain de trois jours et sept heures, économisant un prix de revient d’un quart moins cher par l'utilisation du coke. Cette mine de Sain-Bel ferma en décembre 1971 après avoir produit 20 000 tonnes de minerai.

 

            Dans la poursuite de ses instructions métallurgiques, Gabriel Jars justifie un inconvénient majeur, de fondre avec du charbon minéral : la chaleur du coke, beaucoup plus vive, dégrade rapidement les ouvrages en maçonnerie et recommande de les remplacer non plus tous les deux ans, suivant l’usage, mais tous les ans.

 

Savoir-faire métallurgique

 

            Depuis les travaux de Darby réalisés dès 1709, les Anglais maîtrisaient fort bien la façon de produire de la fonte à partir du coke, mais il en faisait un bien grand mystère... Après son voyage en Angleterre de 1765, on peut ainsi dire que Gabriel Jars a donné à la France un élan nouveau dans sa métallurgie. Le Royaume commençait à bénéficier d’un meilleur savoir-faire métallurgique en la matière, jusque là rien n’avait changé des fonderies du XVIème siècle, soit depuis le fameux traité de métallurgie de Georg Bauer, plus connu sous nom d’Agricola (1494-1555), son ouvrage majeur «De Re Métallica» publié en 1555 d’abord en Allemand, puis traduit en une dizaine de langues. La dernière traduction Française de 1987 fut seulement de 1200 exemplaires numérotés.

 

.           Le manque de bois pour la métallurgie et pour tous les autres arts du feu s’en trouvait plus dramatique en Grande-Bretagne que partout ailleurs en Europe. Les Anglais avaient dû très tôt étudier par tous les moyens de remplacer l’usage du bois par une houille abondante. Jusque là, les installations métallurgiques du XVIIIème siècle des petits ateliers employant 15 à 30 ouvriers consommaient annuellement 20 à 25 000 sacs de 50 Kg de charbon de bois, soit pas moins la disparition d’une centaine d’hectares de futaies.

 

            Autant la houille parvenait au secours de la forêt, autant les dames de qualités en parlaient avec dégoût, refusant toutes invitations des maisons où l’on brûler le charbon de terre : on l’accusait de provoquer les maladies de poitrine et de ternir la beauté du visage féminin. Dans son «Essai de Théorie Pratique sur l’Art  d’Exploiter les Mines de Charbon de Terre» publié en 1776, Jean-François Morand, pensionnaire ordinaire de l’Académie Royale des Sciences, conseillait néanmoins l’usage de la houille à usage domestique : «Il eft de ces endroits où le charbon de terre eft employé à differents ufages, qu’en produifent une affez  grande confommation, pour donner fur cela des éclairciffemens non équivoques. L’adminiftration des hôpitaux de Lyon, modèle inimitable de vigilance eft de police, qui font le plus folide fondement de ces précieux établiffemens, a adopté l’ufage du feu de houille. L’hôtel-Dieu s’en fert dans les falles de convalefcens, l’hôpital de la charité l’emploie pour les cuisines, pour leffives, pour les poêles; on n’en remarque aucun inconvénient». L’Académicien qui était un anatomiste, pratiquant une anatomie comparer avec ce qui ce passe dans le corps humain, préconisait les propriétés médicales du charbon, comme moyen d’enrichir l’art de guérir. Il replace en son corps défendant la guérison en 1713 d’un jeune homme attaqué d’épilepsie avec du charbon de terre.

 

            Juste après, a lieu une reprise d’exploitation dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle des mines de Pampailly, département du Rhône, en activité dès le Moyen-âge, par Jacques Cœur le grand Argentier de Charles VII. Les Jars, père et frères, procéderont à l’installation d’un four de réduction du minerai de plomb fonctionnant à la houille. Pour Paul Benoit, (1997), une nouveauté pour la France, l’Universitaire poursuit : «la présence de la famille Jars, a certainement été un facteur essentiel, permettant d’expliquer l’importance novatrice du site». Dans les actes de l’An de Grâce 1764, se rapportant à la mine de Pampailly, il est justement question de sa remise en exploitation, par les métallurgistes Jars, avec pour associés en qualité de financiers Louis Pernon du Fournel, et Jehan Blanchet. Ce dernier investisseur sera inquiété pendant la Révolution, séquestré de ses biens.

 

            Les mines de Pampailly ont alors pour dénomination sociale : «Les Intéressés aux Mines de Cuivre du Lyonnais». Leurs prérogatives communautaires des associées se concédaient jusqu’aux mines voisines de Saint-Pierre-la-Palud. Cet ancien siège minier dispose depuis 1982 d’un considérable musé. La salle d’exposition la plus prodigieuse est, sans contredit, celle de la reconstitution fidèle des galeries, animée de mannequins, grandeur nature, de mineurs figés dans leur position de travail. Se distingue en bonne place, une statue de Sainte Barbe, située du temps de l’exploitation, dans une niche taillée à même le rocher à 300 mètres depuis la surface. Bien que les mineurs ne soient pas vraiment dévots, l’église catholique se personnifiait dans les corons, le prêtre qui, à la messe dominicale apportait les nouvelles des alentours..., annonçait ainsi parfois les catastrophes.

 

            Sous la direction des «intéressés», les mines de cuivre de Saint-Pierre La Palud furent à l’épreuve de procès, pour dommages causés aux récoltes par les fumées s’échappant des fourneaux. On dépêcha sur place un expert chimiste, en la personne de Jean Hellot, pour avoir ordonné dès 1744 une réglementation sur les mines. Gabriel Jars en était son correspondant à l’Académie de Paris, Jean Hellot fut aussi essayeur en chef de la monnaie. Un précieux manuscrit de la main de Gabriel Jars sur les ressources minières des Monts du Forez, du Lyonnais et du Beaujolais, aux Archives Nationales (F. 14 8132) en témoigne.

 

            Gabriel Jars, n’eut pas le temps non plus de publier son dernier mémoire sur la manière de préparer le charbon minéral, rédigé au cours du premier semestre 1769. Son frère aîné, nous en reparlerons, s’exécutera à sa publication dans les «Voyages Métallurgiques» transmis à l’Académie des Sciences le 9 janvier 1770. La mort de Gabriel Jars d’une insolation, peut se révéler assez banale car il aurait pu mourir en d’autres circonstances au quatre coins de l’Europe, lors de ses lointains et longs voyages, dans la poussière des chemins, se ressemblant à s’y perdre, tant les plans cartographiques étaient plein d’imprécisions frontalières, de tracés incertains selon les périodes de guerres, de paix et de souverainetés. Sur les Chemins, il y avait de quoi faire de mauvaises rencontres : chiens errants agressifs, brigands. Loin de la fiction, lors de sa tournée dans le Forez en 1753, Gabriel Jars aurait pu rencontrer le grand bandit du moment, Mandrin et sa bande de coupe-jarrets.

 

            Comme par ailleurs de ses voyages, il s’exposait aux terribles épidémies du choléra-morbus, et devant se garder des hauts cris... la peste ! La mort noire n’épargnant ni jeune, ni vieux, ni pauvre, ni riche. Il s’exposait à d’autres dangers lors de descentes aux profondeurs de dangereuses mines. Rien de tout cela en effet, mais anesthésié, éprouvé par une chaude journée du mois d’août de l’année 1769. Après un superbe lever de soleil, un soleil pour la dernière fois plein de jets de lumière...imbibant l’atmosphère, mais l’affaiblissant dans sa passion mortelle, au moment de dessiner sur le papier, les sublimes orgues Basaltiques de Saint-Arcons, proche de Langeac. D’un charme mystique certes... du temps où l’on s’expliquait encore peu de choses sur les volcans.

 

            Des roches volcaniques noirâtres, dressées en imposantes colonnades hexagonales abruptes, harmonieuses et solides à l’image du pays. Elles peuvent néanmoins toucher autant qu’un monument majeur. Lors du passage de Gabriel Jars, les orgues de Saint-Arcons n’avaient pas échappé à son regard plein de vie : se trouvant dans leurs états primitifs, d’une hauteur de quarante mètres, étendu en parois se poursuivant sur quatre vingt mètres de long, en colonnes de pierres rayonnant d’une parfaite régularité, se finissant d’un original arc-boutant. Leurs transformations en carrière sont conséquentes à la construction d’ouvrage d’art de la voie ferrée Paris - Nîmes en 1860.

 

Renversement d’alliances

 

            Le valeureux minéralurgiste plein alors d’ingéniosités, sa vie ainsi prise de court, à jamais prisonnière de l’âge, laissa brutalement l’administration des mines dans un cruel embarras, expliquant la grande estime portée au très savant personnage. Le remplacement de Gabriel Jars fut quelque peu laborieux, trois années à Léonard Jean-Baptiste Bertin pour y parvenir, le choix revint à Monnet, décidément, souvenons-nous, son concurrent pour entrer à l’Académie des Science. Le Sieur Bertin était depuis 1763 secrétaire d’Etat aux attributions économiques, comprenant le ministère des Mines et des Manufactures. Bertin connut un beau record de longévité ministérielle (23 années) malgré les années noires de la guerre de Sept-Ans qui aurait pu le déstabiliser. Aussitôt le renversement des alliances Européennes, mettant en cause l’inquiétude de l’Autriche de la Prusse, et la rivalité Franco-Anglaise aux colonies. La France avait comme commis des colonies Jean-Baptiste Dubuc planteur à la Martinique, un temps où il était alors question de colonisation de peuplement.

 

            Bertin exprima son inquiétude, lorsque Monnet aussi jeune que feu Gabriel Jars ne lui donna de longtemps aucune nouvelle, depuis le 31 Mai 1772, jour de son départ du Bureau des Mines. Bertin qui témoignait pour Monnet de véritables sentiments d’amitié, s’adressa le 31 Août 1772 à de Chazerat, Intendant de la Province d’Auvergne, pour lui faire part de ses vives craintes «... que si l’inspecteur des mines était tombé malade quelque part, je vous prie de lui faire donner tous les secours dont il pourrait avoir besoin, et je serai exact à vous faire rembourser les avances. J’attendrai avec impatience de vos nouvelles à ce sujet, pour me tirer d’inquiétude sur le compte d’un homme dont les connaissances sont très utiles pour l’état». Monnet, est lui aussi un personnage utile pour la maîtrise de l’art des mines, les progrès métallurgiques, secteur l’un et l’autre se complétant pour la poursuite du développement économique du Royaume.

 

Par ses compétences, l’aîné des frères Jars avait été préférablement sollicité pour la poursuite des missions de son malheureux frère, voyageant ensemble parfois. Cependant l’aîné se trouvait très impliqué dans l’exploitation des mines de Cuivre de Sain-Bel, au coté de son père. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il pris la charge de Contrôleur des Mines. Une lettre du 21 avril 1781, signée du très populaire contrôleur général des finances Jacques Necker, adressée à de Chazerat, indique la visite par Gabriel Jars, (l’aîné donc) des mines de la généralité d’Auvergne en compagnie de trois élèves de l’école des mines. Necker stipule en particulier : «comme il pourrait rencontrer quelques obstacles, de bien vouloir lui apporter toutes facilités pour remplir sa mission, qui doit rendre compte au conseil d’Etat». Il était dans les prorogatives de Necker d’octroyer des privilèges exclusifs et la délivrance du titre de «Manufacture Royale».

 

            L’une des prérogatives confiées à Gabriel Jars (l’aîné) dans ses nouvelles fonctions est de produire au plus tôt le nom des exploitants des mines, et en vertu de quel titre ils sont autorisés à leurs exploitations. Sa mission débutait au mois de Mai et les tournées d’inspections en régions montagneuses s’accomplissaient préférablement à la belle saison.

 

Barons fossiers

 

            En qualité d’Inspecteur des Mines, Gabriel Jars (l’aîné) devait s’informer sur leurs productions, la surveillance du paiement des redevances. Sa compétence s’étendait à donner des conseils éclairés... pour le déroulement des travaux et la nature des recherches à entreprendre, à s’assurer de la sécurité des ouvrages, contrôlant leurs solidités, la sûreté des ouvriers. La plupart des barons fossiers redoutait le passage des Contrôleurs des Mines, les accueillant plutôt d’un œil haineux. Il était du pouvoir des contrôleurs de sermonner et de dresser un procès verbal aux entrepreneurs pour travaux défectueux. On sait par ailleurs que Monnet, d’un caractère plein de franchise et de loyauté, dut sans cesse se défendre contre les ruses astucieuses des exploitants de mines. Dès l’apparition des machines à vapeur sous le premier Empire, pour desservir les puits d’extractions, cages et pompes, les Inspecteurs des Mines seront aussi attachés à la surveillance de véritables machines infernales dans l’histoire minière, à cause des accidents mortels que les machines à vapeur provoquaient par leurs explosions.

 

            Monnet, auteur d’un exquis «Atlas Minéralogique de la France» effectuait ses tournées d’inspections en compagnie de sa fille. En qualité de représentant du peuple, Monet séjourna en Auvergne pendant la période Révolutionnaire, janvier 1793 à mars 1794. Chargé d’accélérer l’extraction et l’expédition sur Paris des charbons du bassin de Brassac, il profita de son séjour en Auvergne pour se rendre jusqu’aux eaux de Saint-Nectaire.

 

            Suivant un rapport des Archives Départementales du Puy de Dôme, Monnet dresse un constat déplorable des mines de Brassac : «...je voyais, par exemple avec peine ce village de Sainte-Florine criblé par des trous de recherches, faites à tort et à travers. Il était presque impossible d’y marcher la nuit sans risquer de s’y casser le cou et les jambes...». Bien avant les événements révolutionnaires, la production de houille avait chuté et on en importait d’Angleterre et de Belgique. Pour augmenter la production de charbon Auvergnat, Monnet sera dans l’obligation de réquisitionner les mines, mais c’est surtout son remplaçant, Larcher, qui appliquera avec zèle les mesures révolutionnaires, en allant jusqu’à obliger, les bûcherons des contreforts du Livradois, notamment du pays de Champagnac le Vieux, de redoubler les coupes pour assurer des bois de mine. Ceci provoqua une hausse rapide du bois (ce qui inquiétait) bien que les réquisitions soient d’usage et fréquentes dans la durée révolutionnaire, le bois étant plutôt rare vers le milieu du XVIIIème siècle. Les forêts se découvraient surchargées de coupes, lors de longs hivers rigoureux, des villes en sont arrivées à abattre les arbres des boulevards.

 

            Gabriel Jars (l’aîné) est beaucoup plus investi dans les développements l’industrie minière, qu’aux seules fonctions d’Inspecteur Général des Mines. Un document de 1787, stipule sa contribution à l’exploitation des importantes mines de Plomb-Argentifère de Pontgibaud, province d’Auvergne, près de Clermont Ferrand. Des lettres de patentes de 1789 mentionnent une concession accordée à la société «Compagnie du Lyonnais», formée de Gabriel Jars, Antoine-Gabriel Jars, Justin Blanchet, Bonaventure Blanchet, Jean Joseph Blanchet, Joseph Drelon, Jean-Baptiste Enjelvin, Jean-Jacques le Court, et Antoine le Court. Les historiens miniers désirant poursuivre des approfondissements sur cette relation d'affaires, pourront consulter les Archives Départementales du Rhône, inventaire de la série C, les côtes (portefeuilles) 113 à 117, puis 119, 124, et 635, quelques trois cent procès verbaux sont ainsi en situation de fournir de précieuses informations supplémentaires.

 

Rasoir National

 

            La «Compagnie du Lyonnais», placée sous la direction technique des frères Jars, procédera de 1789 à 1790, à la construction de l’importante fonderie de Pontgibaud, avant que la révolution en arrête les travaux. L’associé, Louis Pernon du Fournel, décapité en 1793, à Lyon, sans faire dans l’anecdote macabre, dans cette bonne ville de province, la répression persistait effroyablement. Pour un bien triste commentaire de l’histoire...lorsque, dans le triomphe de la terreur, la drôle de lame du rasoir National du Docteur Guillotin ne suffisait pas d’exécuter rapidement en nombre des condamnés à la peine capitale, on mitraillait... par centaines, au canon dans la plaine des Brotteaux, entourée de charmants et paisibles coteaux garnis de vignes. Evènements horrifiants, non sans rappeler, ceux du Champ de Mars dans la capitale.

 

            Lors de la révolution, malgré l’existence du Corps de Mines plusieurs fois remise en cause, Gabriel Jars (l’aîné) est nommé parmi les quatre Inspecteurs Généraux des mines crées en 1790. Au cours de la même année de 1790, Gabriel Jars est désigné correspondant de Guillot-Duhamel père, auprès de l’Académie des Sciences, poste qu’il avait déjà occupé dans la même Académie, auprès de Fougeroux de Bondaray. Depuis 1770, Gabriel Jars (toujours l’aîné) en était membre correspondant de la section de minéralogie.

 

Antoine Grimoald Monnet publie en 1772, avec l’approbation et privilège le du Roi, un traité tant attendu sur l’exploitation des mines. Pratiquement tous les manuels ou les mémoires du XVIIIème siècle se rapportant aux mines ou à la métallurgie, ne manquent pas d’en référer aux applications minières et métallurgiques instruites par “feu” Gabriel Jars. Il lui revient notamment d’avoir remarqué, depuis les mines de cuivre Chessy, que le courant d’air, s’établissant en été dans les galeries d’une direction absolument opposée à celui qui se produit l’hiver. Observation rédigé dans un : «Mémoire sur la Circulation de l’Air dans les Mines», envoyer à l’Académie de Paris, une Académie qui enregistrait une multiplication de publications savantes. Peu avant sa disparition, Gabriel Jars préconisait de recouvrir les charbonnières de déchets extraits des veines de charbon et de paille, attendu la rareté et la cherté de ce fourrage.

 

            Suivant une lettre de Gabriel Jars (père) expédiée de Sain-Bel, à Abraham Peyrenc de Moras, seigneur de Saint Amant Roche Savine, Maître des Requêtes au Conseil du Roi. Son jeune fils Gabriel s’était rendu à l’automne 1753, dans les montagnes d’Auvergne, de Saint Amant Roche Savine, à l’invitation du sieur Jubié, Inspecteur des Manufactures de la province d’Auvergne, voyage après la découverte d’un filon de Plomb-Argentifère, sur le tracé de la nouvelle route d’Ambert à Clermont.

 

            Dans sa missive, Jars (père) produit les résultats d’analyses des échantillons envoyés par son fils : «le minéral est toujours très riche et mérite bien d’être travaillé» Gabriel Jars (père) termine sa correspondance en proposant de se rendre sur place au printemps, et de voir par lui-même le tout. Les premiers travaux de la mine de Saint-Amand Roche Savine débuteront en 1755, avec des ouvriers spécialisés venus d’Allemagne, placés sous la direction des Kayr De Blumenstein. Les De Blumenstein exerçaient l’Art des Mines en famille, très sollicités par leurs compétences ; ils seront un temps les associés de Gabriel Jars (père), pour les mines du Lyonnais. Les spécialistes Outre-rhin poursuivront leurs périple jusqu’aux pays de l’Antimoine Brioude-Massiac, pour les mines de Mercoeur, Saint-Ilpize et du Pradal près d’Ally. Des vieux travaux au Pradal ont toujours pour nom, la galerie des Allemands.

 

La fabrication des monnaies demeurait secrète

 

            En 1758, Gabriel Jars (jeune) s’accomplit avec Duhamel du Monceau, d’un précieux mémoire sur l’alliage des monnaies, les différentes opérations de leurs fabrications, le pourcentage des alliages. Malgré le mystère qu’il en était fait à Chemnitz en Allemagne, les deux voyageurs, avaient réintégré la France, pleinement satisfaits d’avoir pu se procurer les cahiers contenant les procédés de leurs confections. Nécessairement la fabrication des monnaies demeurait secrète, sinon chèrement monnayées... qu’en avait été la tractation. A l’époque, le Royaume possédait dix-sept ateliers de frappes de monnaie répartis sur son territoire. On y frapper des Louis d’Or, Ecus d’Argent, le Cuivre préférablement réservé aux Liards ou aux Sous. La France se trouvait le pays de l’Argent, et de l’Or, représentant plus d’un tiers de la circulation monétaire, à la fin de l’Ancien Régime.

 

En Angleterre le centre industrieux de Chesterfield s’activé essentiellement pour la bonneterie. Les mines et forges sont à Sheffield, les hauts fourneaux à Coalbrookdale dans le Shropshire. Pour une autre région économique intéressant au premier degré Gabriel Jars (le jeune), lors de sa tournée de 1765, la grande ville industrielle de Coalbrookdale où l’on traitait du minerai d’Antimoine Auvergnat. Métal gris de plomb retournant en France, virtuellement lustré et embelli au prestigieux titre, Métal de la Reine, on ne pouvait pas mieux faire allégeance à la Reine Mère, du temps d’ailleurs des plus flamboyantes périodes Géorgiennes. En Angleterre toujours, Gabriel Jars poursuit son périple jusqu’à la fabrique de Laiton de Cheadle dans le Comté de Stafford, publiant ensuite un mémoire sur la mise en œuvre de ce métal jaune-bronze, utilisé en particulier au façonnage de Dés à coudre. Gabriel Jars introduira cet ingénieux petit étui cylindrique en alliage de zinc et cuivre, bien utile pour protéger le doigt qui pousse l’aiguille, les couturières étant très nombreuses à l’époque.

 

            Au cours de l’année 1766, vingt trois ans après l’exil volontaire de Voltaire, en Hollande, Gabriel Jars prit d’un bonheur vagabond, de parcourir le pays des tulipes, accompagné de son frère l’aîné, autant intelligent qu’hardi, l’un et l’autre exerçant un métier grandissant leur époque. Ils s’intéresseront particulièrement à la fabrication de tuiles et de briques. Gabriel Jars (le jeune), s’accomplit ensuite à la rédaction d’un mémoire : «L’Art de Fabriquer la Brique et la Tuile en Hollande et de les faire cuire avec de la Tourbe» rédigé à Utrecht, en date du 2 août 1767. Retirons quelques lignes : «La Hollande fait une très grande conformation de tuiles, puifque toutes les maifons en font couvertes; car non seulement les briques fervent à bâtir les maifons, mais encore plufieurs routes en font pavées; ainfi que tous les trottoirs des rues des villes, bourgs £ villages». Mémoire sous-titré «Pour Servir de Suite à l’Art du Tuilier et du briquetier» une accentuation bien dans l’esprit de la France des Lumières, à l’exigence de l’aventure économique.

 

            Gabriel Jars étudie avec quelle terre sont fabriqués les pavés, un limon déposé au bord de la rivière : «l’Iffel». Les tuiles et briques, avec lesquelles les maisons sont bâties, proviennent des voisinages de la ville d’Utrecht. Poursuit ses observations jusqu’à remarquer les briqueteries situées le long de canaux pour en faciliter le chargement et le transport. Sous une rubrique plus technique, il fait part de la manière de faire cuire les matériaux en terre cuite, dans des moules en bois et il indique la grandeur des fourneaux.

 

            Ainsi nommée en prélude de la note avec Louis XV la France est en phase de l’ère du renseignement moderne, l’espionnage industriel au sens même du terme apparaît une invention du siècle des Lumières. En 1764, le gouvernement confié à Gabriel Jars (jeune) la mission d’étudier les exploitations minières d’Angleterre et d’Ecosse, l’usage du coke dans la métallurgie du fer. En Ecosse il visite les célèbres mines de charbon de Carron et les opérations de forges pratiquer dans cette province. La renommée industrielle de Carron, était entre autre de fabriquer les fameuses canonnades anglaises de la marine d’un poids d’environ de deux tonnes, d’une portée faible mais d’une efficacité terrible pour la projection de boulets de 18 kilogrammes les canons de la marine française, encore en 1750 ceux construits sur un modèle anglais d’un siècle antérieur.

 

            Poursuivant sa visite à Carron, Gabriel Jars s’attarda sur la fabrication des tôles. A sa réflexion, elle pourrait fournir en France des vues nouvelles. A tout considérer, Gabriel Jars employait ses clairvoyances technologiques dans de nombreux domaines, jusqu’aux salines des pays visités, de Halle au Tyrol, de Norwich et de Liverpool en Angleterre, de Rotterdam en Hollande et d’Assendorf en Allemagne.

 

Gabriel Jars (jeune toujours) rentre en France en septembre 1766, après quinze mois de séjours rendus très fructueux par les informations techniques qui lui furent offertes. Ainsi, avec son quinzième mémoire, il communique la méthode de fabrication du minium utilisé en Angleterre, de quoi intéresser les métallurgistes français.

 

            A l’instar de sa mission dans la région centrale du Royaume de France au cours de l’été 1769, Gabriel Jars, en qualité d’Inspecteur Général des Mines, intervient dans la nomination sur l’intervention de Trudaine. Sa fonction croise, en définitive, l’inventaire Colbertiste du siècle précédent. Un colbertisme où apparaissent déjà les dimensions sociales et institutionnelles d’une France réformatrice et de changement. Avec une part plus importante d’intervention de l’Etat, autrement dit, une société civile à la fois économique et politique, aux prérogatives d’une redistribution des richesses, pouvant satisfaire les besoins de la société, cela en comparaison avec les autres pays occidentaux. Dans cet ordre des choses... Gabriel Jars bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dans l’application des directives gouvernementales, avec autorité pour la diffusion de nouveaux procédés et préavis techniques aux entrepreneurs prenant part aux nouveautés industrielles.

 

            Pour avoir tant réalisé de mémoires sur les industries des Manufactures du Berry, du Bourbonnais et de l’Auvergne, Gabriel Jars dut en conséquence, inlassablement parcourir toutes ces provinces du Royaume avec prouesses... Voyageant à cheval, on peut l’imaginer devant parfois se déplacer à brides abattues, des galops rapides et périlleux pour le cavalier et l’animal pouvant en perdre haleine. Pour cette alliance de l’homme et de la bête dans l’effort, du courage, il en fallait exagérément.

 

            Les fécondations industrielles de Gabriel Jars anticipaient dès lors la Pensée Simonienne, projeté au siècle suivant par le Comte Claude Henri de Saint-Simon (1760-1825). Dans un style sec, plaidé pour une société fondée sur la science, la technique, et l’industrie. Fondateur de la pensée industrialiste... il a profondément influencé l’action des ingénieurs, entrepreneurs, hommes d’Etat dont Napoléon III et intellectuels du XIXème siècle. Il revient à Saint-Simon, d’utiliser le terme «prolétariat», prenant tout son sens au moment où une classe sociale urbaine se définit et se centralise dans la grande industrie.

 

            Ainsi, le souligne Michel Cotte (2001) de l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard, nous savons aujourd’hui que les comptes-rendus de voyages de Gabriel Jars ont joué un rôle notable auprès d’ingénieurs et d’entrepreneurs français, puisque ils ont été source d’inspiration aux progrès techniques. Surtout à partir de la période charnière fin du XVIIIème début du XIXème siècle, l’exemple des réalisations métallurgiques étrangères apparaît comme une condition nécessaire et préalable à la Révolution Industrielle. Très tôt les Anglais disposeront d’une revue hebdomadaire spécialisée : «Mechanic Magazine», assurant un large écho de l’information technique et industrielle, d’une diffusion jusqu’aux provinces les plus reculées. En France les applications industrielles sont dispensées par le «Bulletin de la Société d’Encouragement» et «Le Journal des Mines» (1816), puis «La Revue Encyclopédique» (1819), «Le Producteur» (1825), «L’Industriel» (1826), ainsi que le «Journal du Génie Civil» (1828) Le sens commun de ces publications, sont des informations utiles aux entrepreneurs et aux artisans. Egalement dans le souci d’élargir le développement industriel de la France et le spectre du savoir-faire, des éditions produisent des traductions d’articles parus dans la presse technique britannique. Des communications étendues aux Arts Economiques, aux Arts Textiles, aux Arts Chimiques, aux Arts Mécaniques, aux Arts de Constructions, aux Arts de l’imprimerie, aux Arts de la lithographie, aux Arts de l’agro-alimentaire, et aux Arts sidérurgiques et industrielles, aucun secteur d’activité ne restait délaissé.

 

Des volcans et de l’Antimoine

 

            Au moment de sa mort, Gabriel Jars parcourait pour la deuxième fois la province des volcans et de l’antimoine, son premier séjour nous l’avons précisé, étant de 1753. Sa tournée de l’été 1769 dans le Haut Allier, s’en trouvait pour la métallurgie de l’antimoine. Minéral stratégique, l’allier au plomb le durcissait pour la fabrication de munitions. Nous devons à Gabriel Jars, ainsi mentionné en début de la note, une description complète sur la manière de fondre l’Antimoine «Mémoire sur la Fonte de l’Antimoine d’Auvergne», sa dernière publication.

 

            En 1768 le prix des fers en France était plutôt stabilisé; Gabriel Jars se rend en Bourgogne aux forges De Buffon installées à Montbard. Le Comte De Buffon, s’était vu confier la même année, par le ministre de la guerre, une amélioration de la qualité du métal, en l’occurrence de la fonte dans le moulage des canons, après les revers subis par la flotte française face à l’Angleterre, lors de la guerre de sept ans. Cette guerre reflète une fois encore la rivalité incessante entre la France et l’Angleterre, tant sur les mers que dans les lointaines colonies. Assez curieusement, la perte du Canada laissa le grand Monsieur Voltaire indifférent, faisant la Grande-Bretagne la première puissance coloniale. Pour un autre trait d’histoire... on en était bien loin de la fameuse Entente Cordiale, qui finalement s’est seulement réalisée en 1904, après de multiples efforts diplomatiques pour aplanir les différents coloniaux entre le Royaume-Uni et la République Française.

 

            Les forges du XVIIIème siècle sont susceptible de fabriquer une gamme assez étendue de fers. Une diversité métallurgique des métaux, donnant lieu dès lors à une terminologie appropriée suivant l’assortiment des fers marchands : fer en battages, verges de toutes espèces, carillons et verges rondes, fers coulés, feuillards, tôles... A l’instant de l’intervalle prérévolutionnaire, chaque forge produisait environ 300 tonnes de fonte par an, le Royaume Uni comptait environ 350 fourneaux. Pour une vertigineuse comparaison, les hauts fourneaux du type : Dusquesne, d’une hauteur de 31 mètres, sont capable de produire aujourd’hui, 600 tonnes/jour d’acier.

 

            De quoi sûrement nous surprendre, des peintres du beau XVIIIème siècle franchissaient le seuil des usines et manufactures, un cas à part dans l’histoire de l’art. La curiosité des peintres, séduite par le monde du travail, des mines, ateliers, et fonderies..., créait une initiation d’œuvres figuratives jusque là moins banale, une production de véritables chefs d’œuvre, dans la représentation des intérieurs de forges notamment. Des styles de peintures se rapprochant des écoles Flamande et Hollandaise expriment une nouvelle manière d’opposer les ombres à la lumière, en une nuée de métamorphoses envahissant le tableau. Des scènes de travail y sont particulièrement pittoresques, animées d’ouvriers affairés autour des foyers, les lueurs vives des flammes leur colorant le visage, par des températures, on le devine, insupportables, jaillissantes des brassiers brûlants... Des ateliers d’ombres colorées, une fois encore une projection dans l’étude de la lumière, entre sa perception fugace et coins d’ombres, vraiment de quoi joindre l’histoire de la métallurgie à celle de l’histoire de l’Art.

 

            Parmi ces chefs d’œuvre, dont apparaît la posture au regard attentif du Maître de Forge. Pareillement au proverbe, «une forge, c’est un homme», personne d’autre que lui n’avait le pouvoir de décider du moment opportun de la coulée du métal en fusion. Une façon aussi d’en assurer sa marque de fabrique, en la qualité des produits. De nombreux tableaux exprimant cette aventure industrielle de la société des Lumières subsistent au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, dans une galerie intitulée bien à propos «Fonderie de France au XVIIIème Siècle», œuvres à voir et à revoir attentivement, l’époque d’une France prenant conscience de ses réalités industrielles. Des représentations emblématiques du feu et du fer, animées, nous l’avons dit, de personnages anonymes certes, devrions nous y reconnaître Gabriel Jars. On sait du moins que la famille Cradock visita la fonderie de canon de l’île d’Indret sur la Loire, Madame Cradock s’exprima d’une façon outrée au point de dire ; «quand on pense que la science des ingénieurs tend surtout à tuer son semblable !»

 

            En faisant un petit retour aux mines d’antimoine du XVIIIème siècle, on arrive à la subdélégation de Brioude et de St Flour. De ce fait, nous concevons la dernière visite du notoire minéralurgiste Gabriel Jars, dans le Haut-Allier près de Langeac en 1769, sur les encouragements des exploitants de mines à de meilleurs fontes de l’antimoine avec du charbon. A cette époque, ses petites exploitations minières sont le fait d’explorateurs de mines, de gros cultivateurs ou des hommes du négoce; réalisant l’avenir du minerai d’Antimoine. Il fallait beaucoup du verre d’antimoine, à savoir selon l’Encyclopédiste Diderot, du minerai d’Antimoine métal, obtenu après que le minerai fut porté au feu. Les graveurs de l’imprimerie utilisaient cette substance métallifère pour la fabrication des caractères; à partir de deux onces d’antimoine métal pour une livre de plomb. De ce vulgaire minerai gris à éclats métalliques, on obtenait la beauté du cristal, les apothicaires du XVIIIème en réclamaient pour cautériser les plaies et en substance vomitive et purgative. L’antimoine aurait d’ailleurs guéri le jeune Roi Louis XIV.

 

            Le jeune Jars exerçait ses missions en qualité de pensionnaire du Roi; rétribué de 400 livres par mois, un emploi préfigurant le fonctionnariat de l’après révolution. Il eut pour tutelle le ministre aux affaires étrangères de 1758 à 1766, en la personne du fameux duc Horace De Choiseul, grand homme d’Etat de Louis XV, disgracié par le Roi, après être devenu un instigateur d’une opposition malveillante. De Choiseul était un homme d’aucune religion, craint par ses mots acérés, son persiflage cruel, protégeant cependant les philosophes, communiquant familièrement avec Voltaire. D’une carrière ministérielle bien remplie De Choiseul fut aussi secrétaire à la guerre et de la marine. Pour l’anecdote, Gabriel Jars franchissait la Manche sur «La Duchesse De Choiseul», bateau de 30 tonneaux, mouillant à St Malo, port de Corsaires.

 

            Inspecteur itinérant, Gabriel Jars, lors de son séjour en Suède, en compagnie de son frère, reçut le meilleur des accueils du Prince Royal de Suède. Sa majesté avait, à leurs intentions, avisé les professeurs d’Upsal de leur arrivée, et c’était longtemps entretenu avec les minéralurgistes au sujet de leurs voyages. A cette occasion, les frères Jars ont fait la rencontre du célèbre naturaliste Linné, médecin du Roi.

 

            Incontestablement, la famille Jars jouissait d’un rayonnement en Europe, mais quel était le poids de cette faveur de la part du Roi de Suède ? Nous savons, par le biais du secret, que la France entretenait une alliance privilégiée avec cette nation de la péninsule Scandinave. Différemment, les frères Jars, investis d’une puissance sacrée dans l’art du fer et du feu..., pouvaient, de ce fait, satisfaire bien de l’intérêt des chefs d’Etat, privilégiant les forges comme de véritables instruments stratégiques. La demande du marché militaire s’appuyait sur les mutations technologiques, l’industrie des armements fut très tôt développée en Suède. A l’évidence, derrière les artilleurs, se cachait la fine fleur des sidérurgistes.

 

            Gabriel Jars publiera une abondante notice sur la jurisprudence des mines de charbon, de la province de Limbourg, du pays de Namur et de Liège. Ses mines d’Europe sont formulées avec leurs règlements, la forme de leur administration avec beaucoup d’exactitudes ainsi que leurs origines. Puis il mentionne les lois minières de Saxe, du Comté de Derby en Angleterre et les coutumes de ce pays. Ce mémoire de Gabriel Jars représente aujourd’hui un vaste champ de recherches pour les universitaires et chercheurs, le terminant en proposant un Edit en vingt-sept articles pour les mines Françaises.

 

Maître du feu et du métal

 

            «Maître du feu et du métal», ce qualificatif nous renvoie à Gabriel Jars, pour s’être particulièrement intéressé au fer-blanc. Informe la fabrication de ce métal argenté, dans son sixième mémoire, après avoir visité une manufacture en Bohême, entre Heinnichfs et Graflitz. Ce fer doux, avant qu’il soit recouvert d’une fine couche d’étain pour le protéger de la rouille, sa préparation métallurgique se pratiquait d’un simple poli, après avoir était battu ou laminé. En effet, l’industrie du fer-blanc, prit son essor dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle suivant une mutation technologique de nouveaux procédés de mise en œuvre. En 1762, le sieur François Voiroz obtient un arrêté pour la création d’une manufacture de fer-blanc, à Neuville, avec un cylindre de son invention. Dès 1730, l’industrie anglaise du fer-blanc, occupait la première place, pour l’imitation de l’argenterie, la prédominance de l’Angleterre sur le marché n’était pas due uniquement à ses innovations techniques, mais à ses réserves d’étain.

 

            A présent, requalifions la mort de Gabriel Jars avec plus de réflexion. Tout d’abord, nous l’avons précisé, c’est en pleine canicule d’un violent soleil du mois d’août de l’année 1769, à l’apogée des Lumières, que les yeux du visionnaire minéralurgiste, pris d’éclairs d’orages, se sont fermés sans pouvoir s’en défendre, devant l’enchantement des pittoresques paysages du Haut-Allier. Terrassé par une insolation, il n’avait pas su se précipiter à la lumière oblique d’un soleil matinal, ni sut atteindre celle en fin de journée, l’amenant ainsi à la mort en quatre à cinq jours, le 20 août, malgré son transport pour des soins les mieux appropriés à Clermont. Au XVIIIème siècle, l’Art de guérir n’avait pratiquement encore fait aucun progrès, les praticiens non plus ne se vêtissent pas encore de blouse blanche, mais du simple sarrau du boutiquier.

 

            On peut ainsi profusément se questionner sur sa mort. S’il n’a pas trépassé sur place, déclaré décéder à Clermont, pour justifier une assistance de la meilleure disposition, vu le rang du personnage. A nous éclairer d’une vérité contraire de sa mort d’une insolation, sur quoi pourrions-nous établir des doutes, un agissement... criminel ? Qui pouvait porter atteinte à sa vie ? De faux-monnayeurs, inquiétés par son arrivée en tant qu’Inspecteur Général des Mines ? Saint-Arcons est seulement éloigné d’une lieue de la mine d’antimoine de Fromenty. On sait par ailleurs cette substance minérale gris métallique convenait aux faussaires pour la fabrication de pièces d’argent. Dans la moitié du XVIIIème siècle, on fondait de la fausse monnaie depuis la petite mine de Tapon, près de Saint-Ilpize. Suivant un jugement rendu par le tribunal de Brioude en 1901, circulaient encore dans le Brivadois, de fausses pièces de 1 franc, réalisées avec du régule d’antimoine.

 

            Pourquoi pas aussi... une bastonnade par des entrepreneurs de mines ? Monnet dénonce des excès et bien des violences à ce propos, certains d’entre eux dépossédant les propriétaires terriens pour s’approprier des mines. Dans son rapport de 1772, le remplaçant de Gabriel Jars dénonce sans détour, d’une façon nominative, les abus des sieurs Veyron, marchand droguiste à Brioude, et Compte négociant à Saint-Georges d’Aurac. Prétendant avoir obtenu par de Ballainvillier, intendant d’Auvergne, le privilège de s’accaparer des mines de la région de Brioude, prétextant d’avoir été mal administré par une compagnie formée en 1729 à Paris.

 

            Sans vouloir faire du romantisme jubilatoire... ni moins d’une mort que nous la voudrions mystérieuse à tout prix, de lui coller un cliché d’une vie plus énigmatique que nous en savons. Jusqu’où peut-on soupçonner un acte de violence d’espions anglais ? Rien de trop fantaisiste à cela, si l’on s’en tient à l’arrêté du 22 Prairial de l’An II de la République, signifié par le Grand Juge et Ministre de la Justice, division police secrète, s’adressant aux citoyens Préfets pour connaître les mesures répressives prises contre les ressortissants anglais.

 

            La réponse du Préfet de la Haute-Loire ne se fit point attendre, exprimant une certaine gravité en ces termes : «Les montagnes dont se compose en partie le département de la Haute-Loire, ont été pendant la Révolution, un des principaux théâtres intérieurs que le gouvernement Anglais avait choisis pour former la division. Le trouble, le crime trop longtemps, les guerres de partis, les dissensions religieuses, les rassemblements hostiles, les vols de caisses, les assassinats ont désolé les malheureuses contrées, et elles en ont vu le terme qu’avec les triomphes du gouvernement consulaire». En effet, craignant la contagion idéologique révolutionnaire en Angleterre, une vingtaine d’années plutôt, des délateurs britanniques seront dépêchés en France pour déstabiliser l’idéologie révolutionnaire. A ce titre, William Pitt, d’abord favorable aux évènements, avant d’adopter une attitude conservatrice, se plaça par la suite tout au long de sa carrière, à la tête d’une coalition dirigée contre la France.

 

            Le mouvement contre-révolutionnaire proprement dit, est comme nous le rappelle Hélène Jarre (2008), longtemps oubliée par la recherche historique privilégiant l’histoire révolutionnaire, pour qui encore révolution et contre-révolution, n’ont pas d’existence l’une sans l’autre. En plus à ses instigateurs anglais, la contre-révolution en Haute-Loire connu une mobilisation du clergé réfractaire impliquant une terreur blanche... organisée par son Evêque en exil.

 

            Gabriel Jars agonisant fut-il conduit dans un hôpital ? Malgré de patientes recherches avec méthode sur documents d’archives relatifs aux hôpitaux de Clermont, aucune mention d’admission de l’Inspecteur des Mines, au mois d’août 1769, dans les hôpitaux en place : L’Hôpital Saint-Joseph, lHôpital de la Charité St Jean-Baptiste, l’Hôpital Général et l’Hôtel-Dieu (s’agissant que de l’ancien Hôtel-Dieu, l’actuel étant inauguré quatre années plus tard en 1773). Soulignons toutefois, que ces établissements n’avaient que la dénomination d’hôpital, ils étaient plus des lieux d’enfermement de pauvres valides et où malades, de femmes et de filles perdues, d’enfants abandonnées. Il est question d’un Hôtel-Dieu à Langeac dès 1727 ; on peut ainsi considérer que Gabriel Jars y fut d’abord conduit, avant son transfert sur Clermont. Si le XVIIIème fut celui des Lumières, riche en découvertes scientifiques, l’accueil médical semblait condamné à l’oubli.

 

Plutôt directement dirigé à la Basilique Notre-Dame-du-Port, nous avons la transcription de son inhumation sur le registre de catholicité de cette paroisse clermontoise. Un recueil sépulcral était maintenu par Benoît Omerin, docteur en théologie, vicaire général de l’Evêque de Clermont de 1755 à 1769. Il rédigeait ainsi : «Le vingt un août mille sept cent soixante neuf, a été inhumé dans le cimetière de la paroisse de Notre-Dame du port, le corps de Gabriel Jars, de l’Académie Royale des Sciences de Paris, originaire de Lyon et résidant à Paris, décédé le jour précédent âgé d’environ 37 ans. Témoins de la procédure Jean Verdier et Pierre Planaix, le Vicaire Omerin a signé ce requis». Ainsi peut-on dire, Gabriel Jars n’a plus qu’une sépulture de papier, aux Archives Départementales du Puy-de-Dôme, qui lui sert à l’éternel un bien fragile tombeau.

 

            Lors de l’éloge de Gabriel Jars, prononcée à l’Académie Royale des Sciences de Paris le 25 avril, Grangean de Fouchy, secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, déclarait en substance : «Mr Auget de Monthion, Intendant de la Province d’Auvergne s’empreffa de lui faire procurer tous fecours de l’Art mais ces fecours furent inutiles, £ mourut le troisième jour de la maladie, muni des sacrements de l’Eglise, £ avec une réfination £ une tranquillité dignes d’un philofophe chrétien»». Sa mort fut donc très chrétienne, la mort sans le secours d’un prêtre étant très redoutée. Ajoutons en substance, que Gabriel Jars avait vu le jour à Lyon, une métropole du catholicisme Français, son Archevêque, Primat des Gaules.

 

            Qui découvrit l’étranger, sans sabots, en costume luxueux des gens de la ville... et pris d’un mal de tête des plus singulier à ne pouvoir probablement pas dire son nom. Lors de son périple dans la province d’Auvergne, se trouvait-il accompagné d’un de ses frères, ou de stagiaires du Service des Mines ? A-t-on réalisé l’identité du personnage, en tant que pensionnaire du Roi ? Quelle fut la personne, qui dans sa souffrance terrifiante, lui porta en premier une main secourable à l’article de sa mort ? S’est-on hâté quérir monsieur le curé ? On imagine alors tremblant et anéanti devant la tragédie d’un homme en situation d’une grande souffrance physique, les prêtres apportaient alors le savoir médical. Avec l’éloignement et la lenteur des communications, sa famille fut-elle, assez rapidement informée, pour assister aux obsèques depuis Lyonnais ? Qui l’a prévenue ? En principe, vu la personnalité du défunt, cette délicate démarche revenait de droit à la suprême autorité territoriale : l’Intendant de la Province d’Auvergne.

 

Troisième jour de sa maladie

 

            Selon le rapport de Monnet de 1772, Gabriel Jars serait mort le troisième jour de sa maladie, délai paraissant tout juste nécessaire pour son arrivée vivant à Clermont. Du fait que sa mort soit survenue en pleine chaleur du mois d’août, sa dépouille a-t-elle subi l’horrible sort éprouvé par Bertrand Du Guesclin. Convenue connectable par le Roi, mort dans le Massif-Central après avoir combattu en plein soleil et bu trop d’eau glacée, le 13 juillet de l’An de Grâce de 1380. Son vœu avait été d’être enterré dans sa Bretagne chérie. (Lire à présent avec un certain détachement clinique...). Comme la route fut longue et qu’il faisait chaud, on éviscéra et décervela son corps au couvent des Dominicains du Puy. Quelques jours plus tard, un nuage de mouches se régale en suivant le cortège. Une seule solution : faire bouillir le défunt au couvent des Dominicains de Clermont, dans le délicieux objectif de détacher les chairs du squelette, faisant que son cœur puisse poursuivre la route vers la Bretagne.

 

            Sans avoir à prolonger dans la répugnance, ni moins soulever un haut-le-cœur de dégoût..., il était d’usage, au XVIIIème siècle, de faire bouillir les cadavres qu’on soupçonnait d’empoisonnements, afin de découvrir des traces d’Arsenic. Sans faire plus dans la violence du verbe..., on appelait cela faire le pot-au-feu, bien qu’avec dégoût nous avons une idée précise de l’opération, par une caricature pleine de sens, des restes humains baignant dans un grand chaudron accrocher sous l’âtre d‘une cheminée. Illustration depuis un ouvrage au titre bien dans le ton du XVIIIème siècle «Les Gens de Médecine» avec graphisme du notoire caricaturiste d’alors, Honoré Daumier (1808-1879).

 

            Légitimement, interrogeons nous sur les pénibilités du transport de Gabriel Jars, à Clermont : Un transfert plein d’obstacles, lui infligeant de violentes secousses par de soudains sauts et sursauts malgré la lenteur de la charrette, des chemins de terre chaotiques, creusés de profondes saignées ouvertes par les eaux de ruissellement. Les routes Royales étaient encore de sinueux chemins Gaulois, au mieux Romains restant adaptés à la nature du pays, tournant tous les obstacles naturels, en suivant la sinuosité de l’Allier encastrées de vallées. Les franchissements de l’Allier étaient pratiquement révolus aux chenaux des bacs. De Saint-Arcons à Clermont, un périple d’environs trente-deux lieues (130 kilomètres), qui nécessitaient des étapes de nuits, éventuellement aux hôpitaux de Brioude et d’Issoire.

 

            L’existence personnelle de Gabriel Jars nous interpelle ; nous connaissons peu de choses du mode de vie de ce bel homme dans la force de l’âge et plein de ressources, d'après la formule consacrée. Suivant l’éloge funèbre de l’Académie, son caractère était doux et simple, vivant très retiré et très sobrement, beaucoup à son cabinet. Ainsi, malgré une forte présomption d’une structure mentale raisonnée, en homme sublimé par la conscience de soi, fut-il parfois obligé d’assister à des déjeuners d’Ambassade et à autres contacts du parisianisme... jusqu’aux fréquentions des salons aux débauches luxueuses, aux romanesques rencontres de femmes d’esprits, au risque du rôle de l’amant périmé...dès que l’on cessait de plaire.

 

            De grands salons d’apparats, de duels et de bel esprit, où l’on se plaît à croire de tout réformer. Dans ses demeures feutrées de Mesdames De Prie, De Tencin, Du Deffand, Geoffrin... s’y développait les emblèmes d’un intellect de littérateurs, nouvellistes, découvertes sur l’histoire, des lieux tout aussi propices aux débats d’idées politiques. La fréquentation autrement dite de ces chambres de bavardages littéraires... était un appui certain de reconnaissance et d’accès aux sphères d’influences. Grâce à ses rencontres des mardis au salon de Madame De Lambert, Montesquieu est élu à l’Académie. Ce juriste qui, par ailleurs, inspiré par son expérience anglaise, protégeait les lois d’une façon absolue. Parmi ses salons, nous serions trop oublier celui de Stanislas Auguste Poniatowski, futur Roi de Pologne, où se partageaient une République de Lettres et des bonnes manières de la plus grande noblesse.

 

            Se découvre une statue de Madame Marie Thérèse Geoffrin, en bonne place regardant la Seine, depuis la façade de l’Hôtel de Ville de Paris. Madame Geoffrin tenait bureau d’esprit, salon rue Saint-Honoré, un salon au goût du raffinement bien dans l’esprit de l’époque soucieuse du décorum... les murs aux tentures de soies et parés de tableaux aux gouaches rutilantes, encadrés de dorures éblouissantes. Dans cette intimité feutrée, soignée, d’une élite de lettrés protocolaire..., on y donna notamment, d’un bon niveau de perfection et d’exigence, lecture de la tragédie de Voltaire. Un auditoire de la noblesse urbaine, vêtu de luxueux brocarts aux couleurs vives, s’évasant du corps partageant la place à l’épée, laissant aussi apparaître les montres à gousset dansant sur les panses. Une scène philosophique symbolisant parfaitement certaines conventions sociales du XVIIIème siècle.

 

            Le portrait de Gabriel Jars en notre possession nous laisse entrevoir une personne de petite taille, une forte stature, un visage mélancolique... une coiffure exprimant une personne d’un certain raffinement, d’une belle et ample chevelure naturelle mi-longue, faite de boucles étagées, vraisemblablement un raffinement au fer à toupets, très tendance à l’époque, signe d’une appartenance à un groupe, à un statut social. Sous Louis XV, on portait ainsi, préférablement ses vrais cheveux avec de la poudre blanche ou cendré parfumée de Chypre. On se saupoudrait des pieds à la tête, lorsqu’on était en quête de plus de raffinement, cela encore au siècle suivant s’agissant notamment du père Goriot, du moins si ce n’est pas Balzac lui même, qui se dévoile en séduction...

 

            Un autre signe ne trompant pas, l’élégance de Gabriel Jars, son strict costume d’une belle noirceur, un style unique économe tranchant, lui fournissant une Aura éclairée noire lumière... contrairement au sarreau de toile du laboureur et du vignerons en habit social... gris - noir froid, éteint. On aurait pu s’attendre à découvrir Gabriel Jars, avec plus de charme et plus d’éclat, aquarellé jusqu’en pied. Dans la pénombre de sa représentation, on semble entrevoir une main fermant la poignée d’une épée, son Epée d’Académicien.

 

            Une représentation de Gabriel Jars, qui n’est pas vide de sens... car il apparaît en homme ambigu, obscur, terrifiant, intrigant, le visage masqué d’un loup ombreux... Masque lui laissant seulement entrevoir des yeux grands ouverts, un regard profond... sombre... presque effrayant. Quelle interprétation à cet ustensile dissimulant les passions qui s’expriment à tout homme sur le visage, par un simple goût du paradoxe, une acuité à l’étrangeté. D’une autre façon, le masque apparaît comme une véritable seconde nature pour une partie étroite, certes de la population du XVIIIème siècle, puisqu’il définissait une culture aristocratique.

 

            Pour ne pas lui véhiculer un mystère absolu, finissant d’apporter une profondeur plus qu’il en faut au personnage, ceci nous amène à parler des bals masqués que se disputaient parisiens et parisiennes au XVIII° siècle. Le plus prisé, le salon des étrangers de l’hôtel d’Auguy animé par le Marquis de Livry, premier Maître d’Hôtel du Roi, époux d’une danseuse de l’opéra. Etaient parfois des bals déchaînés... car on y parler malgré tout de politique, réforme, guerres et constitutions. Sous le masque, se concevaient des confidences, conseils, jusqu’à la complaisance à délivrer passeports et faux certificats de résidence. Un bon accueil était fait aux étrangers, qu’ils soient diplomates, gens de robes, marchands de passage, finalement à tous curieux de la vie parisienne. Le masque ne dissimulait pas la morphologie, la voix, bien souvent on parvenait à reconnaître, ou tout au moins à soupçonner l’identité de l’interlocuteur.

 

Jardin des Morts

 

            On l’aura certainement remarqué : l’enterrement de Gabriel Jars s’est déroulé sans retard. Cette disposition semble répondre à une ordonnance de l’époque, obligeant les prêtres notamment des paroisses de Clermont, de procéder aux funérailles dans les vingt-quatre heures du décès. Pour une autre prescription, le visage du défunt recouvert, qu’à l’instant de sa mise en terre, à cela une coutume des sociétés méditerranéennes. D’après des gravures remontant du temps des obsèques de Gabriel Jars, le cimetière de Notre-Dame du Port ressemblait à l’édifice du XIIème siècle, clos de grand murs, faisant office de Jardin des Morts jusqu’en 1782, soit treize années après les funérailles de l’illustre savant des sciences et techniques.

 

            Gabriel Jars fut vraisemblablement enseveli sous une simple butte de terre, les cimetières n’étant pas encore occupés de monuments supports de l’affection familiale et de la mémoire civique et religieuse. Ce qui ne devait pas tarder, du moins en premier lieu, au Père La Chaise avec la célèbre pierre grise de Volvic. Lors de la désaffectation du cimetière Notre-Dame du Port, a-t-on placé sa dépouille dans un ossuaire ? Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, on commençait à éloigner les cimetières du séjour des vivants, la population de Clermont se chiffrait à environs 25 000 habitants.

 

            Une liasse des manuscrits de Gabriel Jars sera remise entre les mains de son frère aîné, noyé dans la douleur la plus profonde, en atteste une pièce d’archive. Gabriel (l’aîné) s’exécutera aussitôt à mettre les carnets de voyages de son regretté frère, en état de paraître, en suivant le plan qu’il en avait lui même défini, en catalogues raisonnés. C’est ainsi que paraîtront plein de justesse «Les Voyages Métallurgiques» en trois gros volumes en 1774 chez Gabriel Regault, libraire rue Mercière à Lyon, une œuvre de littérature industrielle développée en seize mémoires, représentant 307 chapitres.

 

            C’est une série d’ouvrages de minéralogie, de métallurgie théorique et pratique, à la fois singulière, raisonnée et méthodique. Les procédés prescrits y sont traités avec clarté et précision, les dessins d’un art graphique certain ornés de splendides frises, dans la représentation des fûts de canons. Sur la page de garde de l’exemplaire conservé par l’Ecole des Mines de Paris, il est apposé le cachet de l’Ecole Royale des Mines qui en confirme l’authenticité.

 

            En introduction du premier Tome, Gabriel Jars (l’aîné) s’empresse de faire part aux membres de l’Académie Royale des Sciences de Paris, son affection son malheureux frère : «... c’eft en même temps un nouveau fujet de reconnoiffance dont je fais gloire de vous rendre le témoignage public, au nom d’un frere chéri que vous avez daigné regretter, £ dont je ne cefferai de pleurer la perte...». Poursuivant subséquemment ses propos... d’une physionomie de la pensée qui n’est pas sans procurer encore une certaine émotion. «...D’avoir eu le bonheur de l’accompagner en 1766 et 1767, voyageant sur ordre du gouvernement, qui l’avait honoré de sa confiance, pour la visite des plus importantes mines de l’électorat d’Hanovre, du Duché de Brunswick, du Pays de Heffe, de Liège et du Comté de Namur et la Hollande...» Tout dans la vénération, l’égard...

 

Mélange des langues une histoire de géographie

 

            Une difficulté majeure pour le voyageur du XVIIIème siècle ; le mélange des langues. Une histoire de géographie, les mots ont pour ainsi dire leur géographie et ce n’est pas nouveau, quoiqu’à cela, l’âge des Lumières représente un tournant fondamental dans l’histoire de la connaissance des langues et des théories linguistiques. Bien que le Français commençait à remplacer le latin, il se parlait autant de patois que de territoires traversés. A l’étranger, Gabriel Jars ne se satisfaisait pas d’un simple jargon codé... du geste à la parole; autant que ses connaissances du Latin lui aient souvent servi de passeport linguistique, non seulement il s’essayait à maîtriser la langue des pays visités, mais il portait ainsi intérêt à l’intellection des différentes cultures et religions. Anglophone le plus très vraisemblable dans la durée de ses séjours en Angleterre, l’Ingénieur Koenig l’avait initié à la langue Allemande, en même temps que l’art de diriger une exploitation minière, la géométrie souterraine, la recherche des substances métallifères.

 

            Plaçons nous un instant dans les conditions de vie de Gabriel Jars, alors guère plus âgé de 23 ans, d’avoir à parcourir l’Europe pendant la guerre de sept ans (1756-1763), un bien long conflit, signifié de traités mettant aux prises la Russie, l’Autriche, la Prusse, l’Espagne, l’Angleterre et la France. Au cours de cette période, des intérêts de la France furent sacrifiés : pertes des possessions de l’Inde, du Canada, et de la Louisiane. Il ne semblerait pas pour autant qu’à l’époque, une guerre empêchait la circulation de ressortissant d’un pays innemi, pourvu qu’il s’en tienne à ses affaires privées... Assurément, si les bagages de Gabriel Jars contenaient des minéraux, il ne pouvait que rassurer la police la plus vigilante, d’autant qu’avec la pierre d’aimant naturelle, qui passait pour la curiosité du siècle avec ses propriétés d’attractions et répulsions, il y avais de quoi méduser un moment les douaniers les plus revêches.

 

            Cet exemple amusant nous fait qu’un peu plus que nous interroger sur la neutralité des chargés de missions, quand on sait encore, toujours lors de la fameuse guerre de sept ans, on continua à faire venir des machines d’Angleterre clandestinement. Gabriel Jars, par sa position de technicien des forges, sera t’il un audacieux instigateur dans cette entreprise ? Forcement qu’il avait des contacts privilégiés avec les métallurgistes anglais, susceptibles de fournir du matériel de guerre. Un genre de commerce que sut bien s’accomplir Beaumarchais, sous le couvert de sa firme, Rodrigue-Hortalez et Cie, il séjournait clairement à Londres, en marchand de canons. Organisant débarquements nocturnes de batteries d’artilleries, de quoi remplacer les vielles bombardes et les vieux obusiers des forteresses de Vauban, le système bastionné devenant ainsi à maturité.

 

            La France, en même temps qu’elle augmentait sa puissance militaire par la primauté du feu et du choc... des canons, comptait sur les compétences de l’Inspecteur de l’artillerie, Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval lorsqu’il imposa après son séjour en Prusse, où le Roi de cette nation consacrait le plus clair de son temps aux affaires militaires. Des canons de campagnes, tirant des boulets de 12 et d’un poids de 4 livres, d’une portée pratique de 800 mètres, des bouches à feux dites système Gribeauval d’une particulière mobilité malgré ses 880 kilogrammes, grâce à leurs affûts montés sur quatre roues l’avant train articulé, des canons équipant par la suite l’artillerie à cheval Napoléonienne. Du fait que ces nouvelles pièces d’artillerie remontaient à l’année 1764, en employant pour le coulage des tubes en bronze et à l’étain des moules en sable, visiblement un progrès, en plus de canons équipés d’une visée, avait-on sollicité les compétences de Gabriel Jars, pour leur réalisation.

 

            En effet, bien après sa mort, et jusqu’en 1773, personne d’autre que Gabriel Jars n’aura en France de connaissance directe, de méthodes et procédés Britanniques, dans la l’Art des Mines et Forges. Sa mort prématurée, fut une grande perte pour le Royaume et le déploré Louis XV, lui-même dénonçait l’absence de sujet d’élite pour le remplacer. Contrairement à cela, l’opinion accusait Louis XV de régner en spectateur indifférent, ne se souciant guère des affaires de son Royaume, qu’il ignorait tout ce qu’il s’y passait, toujours pris d’une tristesse profonde.

 

            Dès l’âge de 29 ans Gabriel Jars est membre associé pour l’encouragement des Arts de l’Académie Royale de Londres. Déjà précisé, nommé en 1761 correspondant de Hellot, à l’Académie Royale des Sciences de Paris, puis le 18 mai 1768, année d’un mauvais hiver où la Seine fut prise, membre de cette même Académie à l’âge de 36 ans, après avoir été en concurrence avec Antoine-Laurent De Lavoisier. Les deux hommes furent élus dans la même section spécialisée, avec un fauteuil pour deux.

 

            En fait, pour départager les deux brillants sujets, sa majesté Louis XV devait ainsi donner une place d’adjoint chimiste à De Lavoisier. Le nombre des élus à L’Académie des Sciences était fixé à vingt, suivant le règlement de cette institution savante créée en 1716, trois fauteuils existaient pour les chimistes. De Lavoisier, inventeur de la chimie moderne, est arrivé à cette discipline scientifique par la Géologie et la Minéralogie, après un voyage minéralogique avec Guettard, dans l’Est de la France en 1767. Installé à l’Académie, Gabriel Jars collaborait à l’accueille des Savants Etrangers. Il était également membre associé de l’Académie Royale des Sciences, Belles-lettres et Arts de Lyon.

 

            Au nombre des représentants de la pensée des Lumières côtoyant Gabriel Jars lors des réunions de l’Académie des Sciences tel que le géomètre d’Alembert, l’astronome Cassini, le mécanicien Vaucanson, le botaniste Bernard de Jussieu, Le Monier Médecin de la Cour, le secrétaire Perpétuel Grandjean de Fouchy, le trésorier de l’institution De Buffon, les anatomistes Morand - Daubenton. Nous ne savons pas si ces derniers opéraient en véritables charognards comme certains pour qui, d’après le professeur Louis Sébastien Mercier, un cadavre coûtait un louis d’or, des anatomistes les arrachaient de leurs sépultures en escaladant de nuit les murs des cimetières.

 

Mérite notre salut

 

            Le valeureux Gabriel Jars mérite notre salut pour avoir privilégié les intérêts économiques de la France, plutôt que consacrer ses talents de minéralurgiste aux mines dirigées par son père, jouir des plaisirs tranquilles de la vie sédentaire. Gabriel Jars reste pour nous, un voyageur qui nous émerveille, car ses lointaines incursions minières et métallurgiques, accompli d’un déterminisme achevé à ses capacités d’analyse et de synthèse. Un acteur... à la mobilité, mais pas d’errance... des déplacements toujours bien ancrés dans leurs destinations et leurs buts. Les travaux de modernités porter par son instinct visionnaire du jeune minéralurgiste étaient par conséquence de s’inscrire dans la durée, d’une résistance au temps, en l’espace de l’histoire de l’Humanité. Un homme, à l’accomplissement d’une œuvre, à l’opposition des sociétés jusque là archaïques, secrètes, aux rituels d’initiations, entre la science et le sacré, aux écrits en termes obscurs, de significations alchimiques... et bien d’autres avatars du genre, fertiles en contradictions.

 

            Le récit de ses ouvrages initiatiques... «Voyages Métallurgiques», prit donc fin lors de son voyage dans des contrées les plus pittoresques et sauvages de l’Auvergne. Gabriel Jars reste un innovateur, injustement oublié, d’une époque où la France a vu se lever une légion de génies scientifiques d’une disposition naturelle sans pareille. Aujourd’hui pratiquement ignoré des universitaires, un homme malgré cela, en ode à la lumière... France. Son existence n’intéressant guère plus, le regard de l’histoire, devant pourtant mettre la France industriellement sur la voie d’une nation moderne, dans la liberté d’entreprendre et de faire bonne fortune des hommes.

 

            À contrefaire son destin, s’il n’avait pas été ravi en pleine jeunesse... ce n’était pas de son âge, si encore il y a un âge pour disparaître. Du fait qu’on est rarement voyageur toute sa vie, surtout quand on avance dans l’âge, et dans la mesure qu’il se disposait à une ascension sociale, Gabriel Jars aurait pu se réaliser socialement en bourgeois gentilhomme parmi les grands noms des fonderies Royales dès l’Ancien Régime. De vastes centres industriels, à l’exemple du Creusot, Hayange, où il aurait pu peut-être à son tour, mettre à profit une politique sociale inspirée par ses conviction catholiques, souvent qualifié de paternalisme, régulant tous les aspects de la vie des ouvriers et leurs familles. Soit pour ainsi dire... les cités Jars, les écoles Jars, les économats Jars, l’hôpital Jars, la chapelle Jars, probablement le château Jars, une maison de maître un peu par obligation nécessairement.

 

Ce qu’on lui cache, il le devine

 

            Pour plus nous en convaincre, puisons ses quelques lignes de Marcel Rouff (1922) qui sut fort bien étudier le Corps des Mines de l’Ancien Régime. “Véritable créateur de l’Industrie Minière Française (...). Les journaux, rapports et mémoires de l’Inspecteur Jars sont des modèles du genre. Loin d’affecter un ton dogmatique, pesant et pédant, ils ont toujours l’allure d’un écrit simple, intéressant et sincère, mais singulièrement perspicace et avisé. Jars sait voir avec méthode et saisir à la fois les grandes lignes et les petits détails. Ce qu’on lui cache, il le devine. La clarté de ses expositions n’est ni alourdie, ni voilée par l’abondance de ses renseignements. La sûreté de ses avis et de ses conseils est d’une intelligence lumineuse et maîtresse de son sujet (...). Les essais qu’il tente sur les matières extraites sont d’une rigueur scientifique qui inspire toute confiance. Esprit inventif, il ne s’en tient pas aux méthodes routinières et, sur place il découvre des procédés d’expérimentation et d’exploitation dont il rend compte avec la modestie qui enveloppe tous ses récits et tous ses actes. Rien en lui dénote le moindre souci de ce faire valoir; tout atteste la passion unique du devoir, l’amour de la vérité et l’impartialité (...) Aucun sentiment personnel d’intérêt n’a jamais effleuré l’indépendance de son jugement”.

 

Gabriel Jars vécut au siècle dit des Lumières, mais que cela ne tienne, en vérité un siècle obscur, de ronciers d’intrigues, de complots en tous genres, de trahisons sournoises, une cour doublée d’une puissance occulte s'arc-boutant sur les bien faits et méfaits d’agents du Secret. Une société d’alliances délicates aux méfiances bien avérées, de courtisans, dont en disait l’abbé de Véri, qu’ils voulaient de l’argent à toute heure. On ne saurait aussi trop faire une grande part aux acteurs des Lumières, sans mettre en évidence les détracteurs des Lumières. Autrement dit les Anti-Lumières, d’un refus de voir accroître le rôle de la raison... dans l’exhortation de la foi, des mystères, des miracles, la... Bible tout simplement.

 

            Une espérance désormais : que l’essor de l’Art Métallurgique ne soit plus qu’un meilleur devenir des peuples pour la Paix. L’histoire nous a démontré que le Métal est d’une dimension criante et harmonieuse pour l’existence humaine. D’abord le plus symboliquement la charrue, mais il a aussi malheureusement trop souvent, su se montrer un instrument méphistophélique... au sens de la légende Allemande de Faust : l’Enfer des Armes Guerrières, Georg Faust s’outrepassait pour un sorcier en drame de la connaissance.

 

            Accordons-nous à présent le devoir moral d’énoncer de n’avoir exercé aucune flatterie sur la personne de Gabriel Jars. Nous n’avons pas cherché à le magnifier par des abus de mots ni moins forcer le trait du personnage, seulement par petites touches. S’étant, nous l’avons dit, lui-même fait sa propre légende, mais il ne put s’asseoir de sa gloire, refusé par son destin. La distance critique appartient aux lecteurs de faire la part des choses, si nous l’avons trop exhumé. C’était purement et simplement l’intention d’approfondir Gabriel Jars sociologiquement, historiquement, en fait... l’étoffer dans son siècle. En 1771 Diderot nécrivait il pas à la Princesse Dashkoff : «chaque siècle a son esprit qui le caractérise».

 

            Résolument, Gabriel Jars a échappé à la décrépitude de l’âge... s’en que ce soit pour autant un ravissement. La vieillesse, est un naufrage, comme le disait le Général De Gaulle. Sa courte vie de génialité se concède-t-elle à ce cynisme immoral de Sénèque, pour qui «Longue est la vie des préceptes, courte et infaillible, celle des exemples». Egal à lui-même, Sénèque s’exprimait une fois encore, en philosophe de l’école Stoïcienne. Sans autre façon, le but était de sortir de l’ombre le jeune minéralurgiste Gabriel Jars disparu en pleine lumière, un homme des Lumières digne de briller dans le regard de l’histoire, de scintiller... dans la mémoire des siècles à venir.

 

 

Guy PEGERE

 

Membre de la Société Géologique de France

 





18/07/2015
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